Chapitre 5 – L’Amazone – Tome 1

Le cambriolage du siècle (L’Amazone, Chapitre 5)

Le braqueur d’il y a deux jours nous menaçait encore de son arme. Il m’avait en jeu. Je demeurais calme. Cette scène, je l’avais vécue et je savais comment cela finirait. Je m’exhortais à retrouver rythme cardiaque régulier. L’homme hurlait d’approcher à toutes les personnes de la pièce. Les mains bien en évidence, j’avançais sans mouvement brusque. Alors que dans un état second, mes jambes se dirigeaient mécaniquement vers mon bourreau, je vis Gab me dépasser sur la droite en mimant ma posture. Non. Ce n’était pas possible. Cela ne pouvait être vrai. Il ne pouvait pas être ici. Il n’avait pas été en danger ce jour-là. Il ne pouvait pas l’être maintenant. Je devais être en train de rêver encore. Ça ne pouvait être que ça. Le braqueur s’était rendu, il était en prison. Élise, réveille-toi ! Tu peux maîtriser la situation. Le braqueur dévisageait Gab. Sa colère était palpable. Il visait désormais mon frère. Allez, Élise, tu peux le faire, ce n’est qu’un stupide rêve. Réveille-toi ! Ce rêve n’avait aucune signification particulière pour le coup. C’est alors que Gab se retourna vers moi comme un automate et me dit dans un anglais parfait et d’une voie un peu efféminée :

– « Chut ! Tu le fais exprès ou quoi ? Tu veux réveiller le voisinage ? »
D’accord… Je venais juste d’avoir la garantie que cela était bien un rêve. Gab avait toujours été une quiche en anglais et ce qu’il venait de me sortir ne voulait absolument rien dire dans ce contexte. Je n’eus pas le temps de répondre. Le braqueur enlevait le cran de sécurité de son arme et s’apprêtait à tirer. Toutefois le bruit de son arme m’interpella. Lorsque ce dernier retira la sécurité, le son ne rappela pas le « clic-clic » habituel que l’on entend dans les films. C’était bien un bruit métallique, mais plus léger. Comme un cliquetis. Au lieu de tirer sur Gab, l’homme armé me fixait. Son visage affichait les crispations musculaires d’une personne sur le point de hurler. Mais un murmure nerveux d’une autre voix féminine en sortit, toujours en anglais :

–  « Ce n’est pas facile. C’est une ancienne serrure trois points toute grippée. Je fais du mieux que je peux. »

–  « Tu y étais arrivée plus rapidement cet après-midi… »
Je ne comprenais rien. Je savais que c’était un rêve, mais ce dernier n’avait rien à me révéler comme le précédent. Je le sentais. Il fallait juste que j’ouvre les yeux. Ce fut à ce moment qu’un de mes chats se jeta du lit, à l’affût. Mon corps profitait de cette stimulation pour se réveiller. Il ne me fallut qu’une seconde pour revenir à moi. Les souvenirs de mon dernier rêve étaient intacts et, même si mon esprit et mon corps étaient encore engourdis par les médicaments, mon instinct de survie prit le dessus. Il avait su se mettre en éveil bien plus vite que mon corps. Je n’avais pas encore bougé d’un poil que mon cœur battait la chamade. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression de l’entendre. Je n’étais pas seule. Je le savais. Je retenais ma respiration pour faire le vide et écouter. Deux respirations distinctes, quoique très faibles, se faisaient entendre derrière la porte d’entrée. Un coup d’œil aux chats me confirma mon intuition. Le premier, couché à mes côtés, fixait la porte d’entrée, aux aguets. Je balayai la pièce du regard à la recherche du deuxième. Cela restait relativement facile car j’avais omis de fermer le volet en bois de la baie vitrée de la pièce. La lune éclairait celle-ci. Le deuxième chat était debout, face à la porte. Son poil se hérissait un peu sur le dos et ses oreilles commençaient à pointer vers l’arrière. Un inconnu essayait bien de rentrer sur son territoire.

Un second cliquetis de la serrure se fit entendre. La clé que je mettais toujours enclenchée dans la serrure le soir venait de toucher le sol. Il ne leur faudrait peu de temps désormais pour activer le mécanisme et ouvrir la porte. Je me souvins encore de la réplique de l’agent immobilier qui m’avait loué l’appartement. « Vous verrez, vous serez en sécurité ici. Avec une serrure trois points, pas de souci… ce qui est appréciable pour une jeune fille seule. » Je lui en foutrai maintenant des « serrures trois points ». Pff, sécurité mon œil !
Ni une, ni deux, je pris mon portable sous mon oreiller et me faufila dans la cuisine ; Je pris le premier couteau à ma portée et me glissa derrière le recoin qu’offrait mon réfrigérateur. Les chats s’étaient cachés depuis que la clé avait touché le sol. Le bruit aurait pu passer inaperçu sur la moquette, sauf pour quelqu’un en alerte qui connaissait tous les bruits de l’appartement. Je m’attelai à composer fébrilement le numéro de la police. A ce moment, un bruit de pas m’informa qu’ils avaient réussi à pénétrer à l’intérieur. Plus vite que prévu. De ma cachette, je ne pouvais les voir. Toutefois, je pus me rendre compte qu’il s’agissait de deux femmes au claquement de langue de la première qui s’aperçut que je n’étais plus dans le lit. Ce dernier était encore chaud. Les intruses allaient comprendre que j’étais encore sur les lieux. Je fis aussitôt le rapprochement avec les deux géantes de l’hôpital. Dans la panique, je finissais d’appuyer sur les dernières touches du portable pour appeler le commissariat. Il fallait que je donne l’alerte au plus vite. Elles se déplaçaient avec précaution pour me traquer. Deux nouveaux glissements métalliques me laissèrent penser qu’elles avaient dégainer des armes blanches. Mon cœur battait à tout rompre. Je devais me calmer car ce battement assourdissant allait me trahir. Je ne comprenais pas pourquoi elles me traquaient alors qu’elles m’avaient ignorée royalement deux jours auparavant. Je ne pouvais toujours pas les apercevoir, mais j’entendais à leur souffle qu’elles s’approchaient. Mes chances de fuir étaient nulles. J’étais bloquée. De plus, mes multiples points de suture à mes jambes ne me permettraient pas d’aller bien loin. Ce fut à ce moment qu’une sonnerie d’échec d’appel résonna de mon portable. Pas de réseau dans ma retraite de fortune. Cette sonnerie avait résonné comme une alarme dans ce silence religieux. Ça y est, c’en était fait. Leurs pas légers s’activaient en ma direction. Accroupie au sol, je brandis devant moi en signe de défense un couteau à steak. Je ne résisterai pas longtemps mais au moins je leur ferai face. Je n’aurai même pas l’occasion de dire au revoir à Gab, Patrick et Damien… Et mes chats, qui allaient en prendre soin ? Et si personne ne s’inquiétait de mon sort avant plusieurs jours ? Et si j’hurlais ? Je donnerai l’alerte. Je serai peut-être morte mais on arrêterait les deux cinglées et on préviendrait mes proches… pour qu’ils récupèrent mes chats. Deux mains me saisirent et m’extirpèrent de mon recoin. Ces deux géantes me parlaient en anglais mais je n’entendais rien. Je me débattais et envoyais mon pauvre couteau fendre l’air à l’aveugle. Vu leur force, le combat était plié d’avance mais je n’abandonnerai pas sans leur donner du fil à retordre. Je me démenai comme une diablesse. Je réussis même à entamer le bras d’une de mes agresseurs avec mon couteau avant qu’elles ne réussissent à me l’arracher. Leurs poings se resserrèrent autour de mes bras, arrachant des points de suture sur le passage. Une main se plaqua sur ma bouche avant que je n’hurle. Elles me plaquèrent contre le mur. Terrorisée, je réussis à ouvrir les yeux pour apercevoir leurs visages à la lumière de la lune. Elles n’étaient pas celles que je pensais. Leurs visages m’étaient inconnus. Toutes les deux très grandes avec une musculature développée, leurs yeux ne contenaient pourtant à ce moment précis aucune haine ou trace de violence. Comme si elles comprenaient la raison de ma terreur. Qui ne la comprendrait pas en même temps ?

Les Amazones des temps modernes (L’Amazone, Chapitre 5)

– « Calme-toi », dit en français la blonde avec un accent anglo-saxon.
Elle faisait l’effort désormais de parler dans ma langue. Elle devait penser que je ne comprenais pas l’anglais puisque je n’avais pas réagi à leurs premiers ordres.

– « On ne veut pas de mal. »
Bah tiens, tu es venue me faire des tresses pour la pyjama party…

– « On est là pour toi, mais pas pour te faire de mal. »
Je n’avais aucune réplique à lui jeter malgré toute l’ironie dont j’étais capable. Je la sentais sincère mais la situation continuait de me terrifier. Pourquoi étaient-elles chez moi à cette heure ? Dans quel merdier m’étais-je encore fourrée ? J’examinai le regard de celle qui m’immobilisait contre le mur pour y voir le reflet de la même expression. Visiblement, cette dernière n’avait pas compris l’échange en français que nous venions d’avoir. Elle contrôlait son agressivité dans l’espoir que je me calme à mon tour.

– « Je vais enlever ma main de ta bouche, mais ne crie pas ! Regarde, on lâche nos armes. On veut te parler. »

Accompagnant avec prudence ces paroles des gestes annoncés, je pris sur moi pour ne pas hurler. J’en profitais pour évaluer toutes les alternatives comme la fuite vers la porte d’entrée, ou encore par le balcon du salon… Mon instinct me disait toutefois que je devais obéir pour le moment. Elles avaient tenu parole jusqu’ici. J’écoutais donc cette petite voix intérieure qui m’avait encore sauvé la vie il y a deux jours. En relâchant mes poignets, la brune examina ses mains teintées de mon sang et dit à sa consœur en anglais.

– « Oh merde ! Je l’ai blessée sans le vouloir. » Elle me fixait presque navrée.

– « Ce sont mes points de suture qui ont sauté », lui répondis-je en anglais.
– « Elle parle anglais. C’est bien, ça ! », concéda-t-elle soulagée dans un sourire à l’autre géante.
Je ne savais si c’était l’affront de douter de ma culture ou celui de ne pas avoir pris la peine de me parler directement qui me fâchait le plus. Bien sûr que je parlais anglais. Nous sommes au XXIème siècle. Il n’y a rien de plus facile que d’apprendre l’anglais si tu le veux vraiment. Entre les séries en version originale ou internet, tout était à porter de mains pour apprendre. Pour ma part, les deux ans d’étude passés à Londres et mon travail qui me mettait en contact quotidien avec l’Irlande faisaient de moi une personne quasi bilingue. Je fis fi de mon égo froissé et décidai de m’exprimer désormais en anglais pour faciliter les échanges. Autant attirer la sympathie et « endormir » l’agresseur pour profiter d’une issue de secours si j’en voyais une.

– « Désolée pour tes bras. »

– « Je peux au moins me soigner ? Changer mes pansements ? »
Ce n’étaient certes pas les questions les plus essentielles dans ce genre de situation mais j’espérais tomber sur un objet contendant dans la salle de bain que je pourrais dissimuler au cas où les échanges tournaient mal. Les questions sur leurs identités et le pourquoi de cette visite viendront après que j’aurais assuré mes arrières.
Elles se concertaient du regard. Représentais-je vraiment un danger à leurs yeux ? J’en doutais. En moins de deux, elles auraient le temps de m’égorger si je leur faisais faux bond, d’où ma prétendue coopération pour le moment.

– « D’accord, prends tes bandages et Kayla t’aidera à les faire sur le lit ».
Avant que je ne puisse me diriger vers la salle de bain, la blonde se leva d’office et ferma la porte d’entrée. Merde. Je fouillais dans la boite à pharmacie pour retrouver les pansements et le désinfectant pour coupures. Je balayais du regard son contenu. Je ne trouvais qu’une pince à épiler et une lime à ongles. Les ciseaux avaient dû rester dans la cuisine. Merde, merde ET MERDE !

– « Pendant ce temps, je vais t’expliquer qui nous sommes et pourquoi nous sommes chez toi à cette heure », reprit la blonde

La peur me regagnait. La situation me paraissait si irréelle. Comment pouvais-je permettre à des intruses à l’allure aussi bizarre de s’introduire chez moi ? Je devais être folle. Je faisais pour la première fois plus attention à leur accoutrement. Toutes deux portaient des tshirts et pantalons noir moulants. Comme des vêtements de contention. Un peu rembourrés sur certains endroits. Ou alors il s’agissait de leurs muscles proéminents qui gonflaient le tissu…. Une sorte de gilet très épais sans manche recouvrait leur thorax. Je n’osai évoquer l’idée d’un gilet par balle car cela ne me rassurait pas sur la situation. Elles portaient chacune des chaussures montantes noires, du type boots de commando. Leurs cheveux étaient tirés en chignon. Pour finir, elles portaient sur les épaules un équipement d’acier qui recouvraient ces dernières. Le même sigle se reflétait sur les équipements de chacune à la lumière de la lune. Le fait qu’elles ressemblaient à des militaires me rassuraient un peu : au moins je n’étais pas prise en otage par des junkies en manque de je ne sais quoi.

Je détournai mon regard pour me diriger vers le lit. Elles semblaient tendues. Kayla, la brune, dut le remarquer.

– « Ne t’inquiète pas. Nous veillons. Il ne t’arrivera rien. »
– « Pour l’instant, la seule menace de la pièce, c’est vous », ne pus-je m’empêcher de répliquer.
– « Je comprends. Nous allons t’expliquer. Mais… ah c’est quoi ça ? », dit-elle dans un sursaut quand un des chats sortit du dessous de lit, visiblement sur la défensive. – « C’est un de mes chats. Ils se sont cachés en vous entendant. Vous leur avez fait peur… Pour refaire les pansements, il faudrait peut-être allumer. »

– « Non, surtout pas », intervint la blonde.

La brune commençait déjà à désinfecter les plaies ouvertes avec minutie. J’avais beau avoir mal, je continuer de réfléchir à mon plan d’action. Néanmoins, je ne pouvais m’empêcher de penser que si elles avaient voulu me tuer, cela aurait déjà été fait. Elles ne prendraient pas la peine de me refaire mes pansements.

– « Pendant que je la soigne, explique-lui le topo, Belen. »
Acquiesçant d’un signe de la tête, la blonde s’assit à ma droite en évitant d’écraser le deuxième chat qui m’avait rejointe. Je n’en menais pas large entre les deux colosses.

–  « Je sais que ce que nous allons te dire pourra sembler invraisemblable pour une personne lambda. Mais avant de tout de révéler, sache que Kayla et moi sommes heureuses de t’avoir retrouvée à temps. Nous avions peur d’arriver trop tard. »

–  « Bah, en fait, vous êtes arrivées de super bonne heure. Il n’est que deux heures et quart du matin… » Ma remarque fit sourire ladite Kayla. Elle semblait soulagée de me voir en état de plaisanter.

–  « Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, dit-on chez toi », agrémenta Belen dans un demi-sourire. « En réalité, tu es recherchée par pas mal de monde depuis une semaine. Les évènements de ces derniers jours, les surveillances, tout ça tourne autour de toi. »

–  « Moi ? Pourquoi ? Attendez une minute. Vous voulez dire que le braquage, c’était pour moi ? »

–  « Euh, non. Ça, c’était plutôt une coïncidence, ou plutôt un accident de parcours », réfuta la blonde d’une moue dubitative. « Mais nous avons failli te perdre une première fois lors de cet holdup. Heureusement que ton instinct s’était déjà réveillé. »
Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Kayla décida d’intervenir, tout en finissant les derniers pansements.
– « En fait, c’est cet évènement qui a tout fait basculer. Comme les autres troupes à ta recherche, nous nous étions trompées de cible. Nous ne connaissions ni ton nom, ni ton visage. Nous pensions pouvoir te reconnaître à ton essence. Seulement, nous nous sommes toutes faites avoir par nos aprioris. Nous pensions que l’appelée serait ton amie, vu sa carrure similaire à la nôtre. »

J’étais perdue et pour être honnête, je n’étais pas très fan des mots « cible », « troupes », « essence ». Cela devait se refléter sur mon visage.

– « Tu es allée trop vite, Kayla. Encore une fois… », s’agaça Belen.
– « Désolée, mais nous n’avons pas toute la nuit devant nous, si je peux me permettre de te le rappeler, Belen », grogna Kayla, vexée.
– « Bon, qui êtes-vous ? Et que faites-vous chez moi dans la nuit ? Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il y a peu de chance que vous trouviez une fortune dans mon appart… »
Ces questions directes dérangeaient Belen qui cherchait ses mots.

– « Nous sommes … des Atalantes. Ou des Walkyries si tu préfères. »
– « On nous appelle aussi des amazones, si cela te parle plus », se sentit obligée de préciser Kayla.
– « D’accord… jusque-là j’ai été patiente et de très bonne composition vu ce qu’il se passe, mais je veux que vous sortiez. »
– « Non, non », me retint Belen. « Rappelle-toi ta promesse de ne pas crier. Nous ne te voulons aucun mal. Laisse-nous t’expliquer toute l’histoire. Nous te mettrons ensuite à l’abri, et si tu veux qu’on te laisse, on partira plus tard. » Kayla sortit de son gilet de protection une photo pliée et me la tendit.

– « Regarde cette photo. Je sais que tu les as remarquées ces derniers jours. Ce sont des amazones, comme nous, mais elles font partie d’un clan adverse. Et crois-moi, elles ne sont pas aussi sympas que nous. Elles sont également à ta recherche. »

Voyant que je reconnaissais ces deux visages patibulaires pour les avoir croisés au travail et à l’hôpital, Belen relâcha son emprise.

– « On t’a confondue avec ton amie. Ces deux-là font partie du clan d’Europe du Sud. Elles la suivaient depuis deux-trois jours. C’est en les voyant la suivre, que cela nous a induit en erreur. »

Le choc des cultures (L’Amazone, Chapitre 5)

Les paroles d’Olga me revinrent en mémoire. Elle m’avait dit être suivie près de chez elle. Dire que je m’étais moquée d’elle. Et puis cette impression du début où je croyais que c’était elle qui me suivait. La pauvre… je m’en voulais à présent. Maintenant que tout faisait sens, de nombreuses questions se bousculaient dans ma tête.

–  « Où est-elle ? Que lui avez-vous fait ? Elle est encore à l’hôpital ? C’est pour ça que je ne peux plus la voir ? »

–  « Jusqu’ici, elle est en surveillance à l’hôpital. Des amis à nous veillent sur elle. Lorsque la fusillade a éclaté au restaurant et que tout le monde fut emmené à l’hôpital, ça a été la cohue pour nous. Nous nous attendions à une altercation entre les clans et c’est pour cela que nous avions placé du renfort à l’hôpital. Nous n’avons pu intervenir tout de suite car la rencontre des différentes milices venues te recruter ont fait jaillir de nombreux combats. Nous savions depuis deux ou trois semaines qu’une appelée allait émerger dans cette ville, mais il nous fallait attendre pour pouvoir t’identifier. En attendant, nos contacts ont isolé dès le début ton amie pour la mettre à l’abri et se sont chargés de protéger les autres en les renvoyant au maximum chez eux ou dans d’autres parties de l’hôpital. Voilà pourquoi personne ne pouvait entrer en contact avec elle. Il fallait que nous protégions également ses proches, car les autres milices n’auraient pas fait dans le détail lors de leur manœuvre d’approche. Ils auraient éliminé tous ceux qui se seraient mis sur leur passage. Elles veulent l’appelée pour elles. »

Ce récit était cauchemardesque. On voulait me recruter pour je ne sais quelle raison et je devrai rejoindre un « clan » qui devait « combattre ». Elles devaient se tromper encore de personne car je savais à peine faire du saut à la corde sans me ramasser. Alors me battre…

– « Quand les combats se sont finis, c’est-à-dire en fin de matinée, nous nous sommes rendues à son chevet. Mais son absence de combativité et sa peur nous ont mis la puce à l’oreille. Son essence ne s’était toujours pas éveillée, si proche du danger. Nous devions repartir de zéro. Nous avons consulté les dépositions recueillies par la police et avec les dires de nos amis à l’hôpital, nous avons su que c’était toi. Il nous fallait faire vite, car ton essence n’était que trop palpable aujourd’hui. Nous pouvons toutes te sentir. Désolée pour ce retard et le danger dans lequel tu t’es retrouvée seule. Car on ne va pas te mentir : tu es en danger. »

Je commençais à croire à un canular. Ou alors j’étais tombée sur deux malades échappées d’un asile. Mais les sensations de ces derniers jours, ces évènements bizarres et ces secrets prenaient enfin un sens avec elles.

–  « Tu ne dis rien, Elise. Ça nous inquiète », dit Kayla en regardant Belen, tout aussi perturbée.

–  « Pour être honnête, je pense que vous faites erreur sur la personne… Et toute cette histoire ne me dit toujours pas ce que vous attendez de moi. » Kayla finissait de soigner nos blessures respectives. Belen, la plus prudente depuis le début de l’échange, prit le temps de choisir ses mots avant de reprendre d’un ton solennel.

–  « Elise, il n’y pas d’erreur. Tu es l’appelée. Nous sommes des dizaines de milliers d’amazones dans le monde. Depuis la nuit des temps, des clans d’amazones ou d’atalantes se font la guerre pour le pouvoir ou pour le territoire. A chaque fois qu’une amazone quitte ses fonctions, une appelée s’éveille à travers le monde pour la remplacer. Nous ne choisissons pas cette appelée. Cette dernière ne choisit pas non plus son sort. C’est la destinée. »

–  « Nous savons que cela peut te paraître fou à cette heure de la nuit », reprit Kayla,
« mais nous avons toutes été appelées. Cet appel est et sera plus fort que toi. C’est en toi. Ton instinct de survie développé, ton sixième sens qui s’éveille chaque jour davantage … Tu retrouves une part de bestialité qui fera de toi la guerrière que tu es destinée à devenir. »

–  « Et c’est pour me raconter ces conneries que vous êtes venues en pleine nuit ? », m’agaçai-je. « Vous ne pouviez pas me le dire cet après-midi après m’avoir suivie dans le métro ? ». Kayla se leva d’un bond. « Ce n’était pas nous. » Inquiète, elle se faufilait près de la porte pour la bloquer. Elle s’affairait à fermer le premier volet de la fenêtre du salon.

– « Écoute, ce n’est pas de gaité de cœur que nous réveillons les gens la nuit. Je préférerais aussi dormir », m’apostropha-t-elle. « Mais nous n’avons pas le choix. Il faut que nous te mettions à l’abri avant que les autres ne s’en aperçoivent et te retrouvent. Parce que ces dernières ne te feront pas de cadeau. Si tu ne vas pas avec elles, tu seras contre elles et tu deviendras une cible à abattre. »

–  « Je ne peux pas suivre des inconnues en pleine nuit, après cette histoire tirée par les cheveux. Je ne vous connais pas. Et puis j’ai un boulot, un appart… et que va dire ma famille ? Il faut que je lui explique. »

–  « Surtout pas ! », me coupa Belen. « Une fois à l’abri, nous t’expliquerons les différentes missions et devoirs d’une amazone. Mais en attendant, tu dois garder le secret sur notre nature. Tu comprendras les raisons plus tard. »

–  « Vous êtes complètement dingues… Vous voulez m’enlever dans la nuit avec une histoire de fou et je dois vous suivre sans discuter et ne rien dire à ma famille qui ne manquera pas de remarquer ma disparition. Vous réalisez l’énormité de la situation ? »

–  « Calme-toi, nous allons affiner notre plan pour s’assurer que tout le monde sera à l’abri. Car ne te trouvant pas chez toi, elles ne tarderont pas à te rechercher dans ta famille. » Aux mots de Belen, je me raidis.

– « Laisse-moi le temps de téléphoner à notre chef pour la rassurer sur ton état. Je vais également appeler l’équipe à l’hôpital pour leur dire que tu es avec nous et qu’il faut venir nous chercher au plus vite. Puis nous allons réfléchir ensemble à la prochaine étape. »

Je regardai Kayla qui s’affairait à ramasser les bouts de pansements pour les mettre à la poubelle. Elle avait laissé un volet ouvert pour avoir assez de clarté et remettre de l’ordre dans l’appart.

–  « Tu crois que c’est une heure pour faire le ménage ? », l’apostrophai-je, agacée par sa décontraction apparente.

–  « Je range et efface certaines traces, ma chère, pour compliquer les recherches de nos « copines ». Commence à réfléchir à ce qu’il faudrait supprimer pour éviter qu’on s’en prenne à tes proches ». Perdue, j’entendais Belen discuter, toujours en anglais.

– « Hey, Alex… oui tout va bien… elle est avec nous… un peu déstabilisée mais elle encaisse bien et est déjà forte… elle nous a entendues arriver et nous attendait avec un couteau. Elle a entaillé le bras de Kayla… »
Même si le ton de Belen était fier, je ne pus m’empêcher de ressentir de la honte. Que je les croie ou pas, Kayla m’avait soignée. En croisant son regard, je m’excusai pour son bras. D’un haussement d’épaule compréhensif, elle me pardonnait. Elle continuait de s’affairer. Je restais sur les nerfs. Belen enchaînait sur un autre appel. Je me baissai pour caresser un de mes chats. J’avais besoin de calme pour remettre de l’ordre dans ce que l’on venait de me dire et de revoir mes priorités. Plus rien ne me semblait vrai : ma vie d’avant, ce qu’elles venaient de le dire et mon futur en tant que « Walkyrie ». Même ça, j’avais du mal à le dire. J’avais les yeux fixés sur mon chat quand celui-ci se raidit, comme tout à l’heure. Alerté, il se faufila sous le lit, très vite rejoint par son comparse.

– « eh ! »
C’est tout ce que je fus en état de sortir, surprise de leur comportement. Je n’avais pourtant pas fait de mouvements brusques. Mon attention fut très vite détournée par un point rouge qui se baladait sur mon corps. Suivi d’un deuxième qui rejoignait la même trajectoire.

– « eh, eh, eh, eh ! », dis-je en répétant frénétiquement cette monosyllabe de plus en plus vite.

D’un coup, je plongeai au sol en attirant Kayla qui ne faisait que traverser la pièce sans s’apercevoir du danger. La baie vitrée fut perforée de plusieurs coups brefs. Les tirs n’étaient pas aussi bruyants que ceux du restaurant mais ne faisaient pas non plus ce bruit un peu silencieux qu’on entend dans les films. Cela alerterait les voisins avec un peu de chance. Belen, alertée, revint de la salle de bain, où elle passait les appels et plongea instinctivement au sol pour nous rejoindre. Les balles finissaient leurs courses dans mes murs. Je pouvais faire une croix sur ma caution…

– « Clans ennemis », dit Belen.
– « Ne bouge pas, Elise. Ne leur montre pas que tu es encore vivante », ordonna Kayla.

« Belen, elles doivent savoir maintenant pour l’amie d’Elise. »
– « J’étais en ligne avec Megan. J’appelle l’hôpital, mais d’abord je rappelle Megan pour qu’elle vienne nous chercher. On a été coupé. »

L’attaque (L’Amazone, Chapitre 5)

– « Allô, c’est Belen ! Que s’est-il passé ? Allô ? »
J’étais encore plaquée au sol. Cela faisait plus d’une minute que les tirs avaient cessé, mais nous étions toujours immobiles. Kayla commença à prendre mon sac à main et me demanda si j’avais tous mes papiers et mon téléphone dedans. Je lui répondis par la négative. Ce qui venait de se passer donnait une bonne dose de réalisme à leur histoire.

– « Joli réflexe ! », commença-t-elle dans un sourire. « Dès qu’on a le go de Belen, on va prendre le minimum d’affaires avec nous. Pense à tout ce qui pourrait te mener à ta famille, ou te tracer. On ne laisse rien qui puisse les rapprocher de toi trop rapidement. »

Les contacts de Belen, supposés se trouver à l’hôpital, n’avaient pas décroché avant la cinquième sonnerie. Un groupe d’intervention avait été informé juste avant de venir nous chercher au plus vite. Dans moins de cinq minutes, nous ne serions plus à l’appart. Pendant que Belen cherchait à comprendre la raison de notre attaque et l’étendue des dégâts, j’en profitais pour demander plus d’explications à Kayla. Après tout, cela faisait deux fois en moins de quarante-huit heures que je me faisais tirer dessus.

– « Pourquoi Belen n’a pas appelé la police ? »
Toujours immobile au sol, elle répondait à mes questions en chuchotant. La situation était tout à fait irréelle. Depuis leur irruption dans mon appartement, j’avais l’impression que mon cœur n’avait pas cessé de battre la chamade.

–  « La police ne pourra rien contre des amazones. Ils ne connaissent pas notre existence et pour être honnête, on les surpasse en force physique et au combat. »

–  « Tu penses qu’elles ont compris qu’Olga n’était pas celle qu’elles cherchaient ? », enchainai-je. Je m’inquiétai désormais pour elle.

–  « Olga ? »

–  « Oui, c’est son surnom… mais ce n’est pas le plus important. Tu crois qu’elle est en danger ? »

–  « Elles ont effectivement compris. Il n’y a aucun doute à ce sujet. La preuve est que tu as été suivie cet après-midi. Je me demande d’ailleurs comment tu leur as échappée. Ce que nous souhaitons savoir maintenant est qui est au courant, depuis quand, comment et surtout si nous avons eu des pertes dans l’équipe. Pour ma part, je pense qu’elles ont dû être en contact avec ton amie pour se rendre compte qu’elle n’avait pas la lueur. Avant de s’inquiéter, on va attendre le retour de Belen. »

–  « Elles n’iraient pas jusqu’à la tuer quand même ? » Son regard fuyant ne me laissait présager rien de bon. « Tu plaisantes, j’espère. Un meurtre ? Mais il faut aller l’aider. Elle n’y est pour rien. »

–  « Les lois ancestrales n’ont rien à voir avec celles des démocraties. Notre secret doit être protégé. Certaines effacent toute trace. »

–  « Mais c’est un acte criminel ! Vous avez déjà tué ? »

–  « Seulement quand nous avons dû nous défendre. Le clan d’Alex, notre alpha, est loin d’être vindicatif. »
Je replongeai dans l’effroi. Je ne pourrais pas suivre des tueuses. Je n’étais pas une mauvaise personne. Comment avais-je atterri dans cette situation ? Je pensai de nouveau à fuir malgré la menace extérieure. Je n’avais qu’une pince à épiler dans ma poche, je ne m’en sortirai jamais. Kayla avait dû s’en rendre compte car elle s’empressait de me rassurer.

–  « Personne ne te demandera de tuer. Beaucoup de mes sœurs du clan n’ont jamais versé une goutte de sang. Les seules et rares fois où nous avons dû le faire, c’était pour notre survie. Le choix était simple alors : elles ou nous. »

–  « C’est un peu facile comme argument », lui lançai-je acide.

–  « Je comprends ton point de vue. Tes sens ne sont pas encore totalement « éveillés ». Comme nous te le disions tout à l’heure, les clans se font la guerre depuis la nuit des temps. Ils ne le font pas seulement pour récupérer des appelées, mais aussi pour le pouvoir et le territoire. Le clan d’Alex est le moins belliqueux. Nous nous contentons de notre secteur et trouvons le moyen de subvenir largement à nos besoins. Les positions d’Alexis sur la plupart des sujets sont entendues avec grande attention dans la mesure où l’absence de convoitise qui la caractérise lui apporte une grande sagesse dans ses stratégies et l’organisation du clan au quotidien. Nous entrainons nos Walkyries pour être des guerrières et non des bêtes. » Son débit ralentissait. Belen venait de raccrocher, passablement énervée, mais composait déjà un nouveau numéro. Kayla allait l’interroger mais Belen secoua la main d’un geste impatient.

–  « Mais si je disais aux clans adverses que je ne voulais pas être une Walkyrie. Que je regarderai le secret, que je ne serai jamais une menace pour eux, ils me laisseront peut-être tranquille », risquai-je.

–  « Ne compte pas dessus », rit-elle tristement. « Maintes et maintes appelées n’ont pas accueilli à bras ouverts cette révélation. Et pourtant, elles sont aujourd’hui dans leurs rangs. Les autres clans se moquent de leurs avis et les plient moralement et physiquement à leurs exigences. »

–  « En gros, je n’ai pas le choix. Devenir l’une des vôtres ou mourir ! »

–  « Nous ne te forcerons jamais à combattre à nos côtés. Pour l’instant, nous souhaitons juste te mettre à l’abri pour éviter qu’elles ne te forcent à les suivre. Pour ton futur avec nous, rien n’est joué. »
Belen venait de raccrocher. Avant même de pouvoir poursuivre la conversation avec Kayla, elle me coupa pour annoncer les nouvelles.

– « L’attaque venait du clan d’Anya. Elles ont surpris Aaron, Megan et les autres en s’introduisant par la morgue de l’hôpital. Megan et Hannah étaient occupées à surveiller les allées et venues aux urgences des émissaires du clan de Suomi, qui était passé à l’attaque dans la matinée. Elles n’ont pas pensé qu’elles se feraient passer pour morte pour s’introduire dans l’hôpital. Bref, Hannah a été blessée lors de l’altercation, mais elle est désormais à l’abri. Elle sera rapatriée chez nous dès que son état s’améliorera. Le clan d’Anya a réussi à mettre la main sur sa pote. C’est là qu’elles ont dû deviner. »

–  « Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de nous prévenir ? Nous aurions été plus rapides ! On aurait pu se faire tuer… », s’indigna Kayla.

–  « C’est en voyant le remue-ménage dans le service avec le clan de Suomi que celui d’Anya a décidé de passer à l’acte », s’impatienta Belen comme si sa première explication avait dû suffire. « Le temps de les repousser et de constater que son amie manquait à l’appel, mon coup de fil était déjà passé. Je viens d’appeler Alex. Elle nous envoie du renfort. Megan nous rejoint en fourgon. Elle sera en bas dans trois minutes. Maintenant on s’arrache. »

–  « Et mon amie dans tout ça ? Elles l’ont peut-être déjà tuée ». Je ne saisissais pas encore l’ampleur de mes mots.

–  « C’est possible. Aaron est à sa recherche depuis cet après-midi. Si quelqu’un peut la retrouver et lui sauver la vie, c’est bien lui. »

–  « Ok », reprit Kayla, « nous avons moins de trois minutes. Mettons nos micros sur la même fréquence pour être en contact avec Megan et les nôtres quand elles arriveront dans le secteur. » J’étais désemparée. Je voyais Kayla se redresser comme un félin en longeant les murs pour éviter d’être vue par la fenêtre. Je devais quitter ma vie pour un futur improbable et je n’avais que trois minutes devant moi.

–  « Attendez ! Je ne peux pas partir comme ça. J’ai mes meubles, mes chats … et … et j’ai des trous dans mes murs et mes vitres. Ma propriétaire va me tuer. »

–  « Prends le stricte nécessaire : papiers permettant de retrouver ta trace, vêtements pour deux jours, passeport, cartes d’identité, cartes de crédit, etc… Pour le reste, nos équipes répareront et nettoieront tout », récitait Belen. « Nous emmagasinerons tous tes meubles et effets personnels, et les stockerons dans un de nos entrepôts. Nous nous chargerons de rendre ton appart en état. Ne t’inquiète pas, on a l’habitude. »

–  « D’accord pour les meubles mais je ne pars pas sans les chats. »

–  « Arrête tes enfantillages. Tu es traquée, je te rappelle », gronda de nouveau Kayla. « On veut ta peau et tu n’as plus que deux minutes. On n’a pas le temps de transporter tes bêtes. »

–  « C’est ça ou je reste. Tu peux me trainer ou me frapper, je m’en fous complétement. Je n’ai plus qu’eux ici. Ils sont tout ce qu’il me reste. Vous me prenez déjà ma vie, ce n’est pas encore assez ? »
Les sanglots se mêlaient aux accents de rage. Belen et Kayla échangeaient un bref regard. Confusion, exaspération, compassion… je ne pouvais deviner l’issue.

– « La voix est libre », dit Belen en regardant discrètement par la fenêtre. « Elise, commence à faire ton sac, tu n’as que deux minutes. Kayla, attrape ses chats. Je téléphone à Alex et Gwen pour avoir leur accord. »

La fuite (L’Amazone, Chapitre 5)

Même si je n’étais sûre de rien quant à la décision finale, je me mis à préparer mon sac en quatrième vitesse pour leur montrer ma bonne volonté. Je prenais le premier sac de voyage à ma portée et vidais le contenu de mon sac à main à l’intérieur. L’histoire du passeport des pièces d’identité et des cartes de crédit était déjà réglé. Je rampais jusqu’à la salle de bain pour prendre mes médicaments et ma trousse de toilette que je fis en quelques secondes. Je retournai dans la chambre pour prendre à la hâte mon téléphone, mon chargeur et quelques vêtements. Mes points de suture me faisaient mal mais je ne ralentissais pas la cadence. J’en profitai pour m’habiller car j’étais toujours en pyjama. Le temps hivernal dehors ne me ferait aucun cadeau. Pendant ce temps, Kayla enfouissait à la va-vite les deux chats arrachés du dessous du lit dans une des cages de transport que je gardais à l’appartement pour les visites chez le véto. Belen raccrochait.

– « Alex est d’accord tant que ça ne nous retarde pas. Gwen lui a dit qu’elles vont l’aider plus tard à se canaliser. »

Kayla acquiesça. Je n’eus pas le temps de la questionner sur sa remarque qui m’avait un peu interloquée. J’étais trop heureuse de les avoir avec moi. Kayla portait la caisse des chats. Elle se retourna vers moi.

–  « Tu n’as rien oublié ? »

–  « Je dois encore prendre mon carnet d’adresses pour éviter qu’elles ne remontent jusqu’à mes proches et un cadre sur ma table de chevet, et c’est bon. »

–  « Ne cherche pas ton cadre, nous l’avons. Il nous fallait te reconnaitre, alors on a fait une pré-visite de ton appartement cet après-midi. Pourquoi crois-tu que tes chats se sont calmés rapidement et ont osé se rapprocher de nous tout à l’heure ? »
J’étais abasourdie. Mon « territoire » n’était plus le mien depuis longtemps. Des inconnues étaient venues sans mon autorisation. Encore un repère que je venais de perdre cette nuit.

– « Bon, dans ce cas, il ne me manque plus rien », dis-je en ajoutant mon carnet dans mon sac.

Belen me prit le sac des mains. Nous quittions l’appartement. Je fermai mécaniquement le verrou, comme si cela pouvait encore empêcher mes poursuivantes d’y pénétrer. Belen et Kayla m’encadraient.

– « On prend les escaliers, je me méfie de l’ascenseur », chuchota Belen.

– « Tu as raison, elles le pourraient. » Je les suivais, paniquée.

–  « Au fait, vous direz à votre « équipe de nettoyage » que j’ai caché mon ordinateur portable dans la couette se trouvant dans le coffre de mon canapé clic-clac. Il serait trop lourd à emporter et il contenait quelques dossiers privés. »

–  « Bonne initiative », me sourit Kayla.
Nous arrivions au rez de chaussée quand Belen annonça au micro de sa veste notre arrivée. En poussant la porte de la cage d’escalier qui menait au hall d’entrée du bâtiment, je vis une autre géante en tenue de commando s’avancer. Je ne pus empêcher un mouvement de recul, perçu par Kayla. – « Rassure-toi, c’est une des nôtres. »
Elle portait le même accoutrement que mes cerbères. Un casque d’acier en prime. Elle venait à notre rencontre en apportant les mêmes casques pour chacune d’entre nous, ainsi qu’un gilet de protection pour moi. Tout aussi rapidement que les autres enfilaient leur casque, la nouvelle Walkyrie entreprit de m’habiller, ce qui ne prit que quelques secondes. Mon attirail était beaucoup trop grand, je devais avoir l’air ridicule. Sur le flanc droit de mon casque était frappé le sigle présent sur les épaulettes des gilets.

–  « Tenez-vous prêtes ! On va devoir sortir. Les traqueuses du clan d’Anya sont dehors. Elles ne sont pas encore passées à l’action car elles pensent ne pas avoir été repérées », dit brièvement la nouvelle.

–  « Tu vas pouvoir courir, Elise ? Elle est blessée », précisa-t-elle à l’attention de la nouvelle.

–  « Oui. »
Je voulais apparaître décidée, et non passer pour une victime.

– « Tu es sûre ? Car Callie peut te porter. Il faudra aller vite », s’inquiéta Kayla.

– « Ça ira », assurai-je d’un air plus déterminé que je ne l’aurai cru.
– « OK, c’est parti, les filles. »

Belen ouvrit la porte et prit les devants en détalant vers le fourgon blindé dont les portes venaient de s’ouvrir six mètres plus loin. Elle abritait son visage derrière mon sac d’affaires. De son bras droit, elle encadrait Kayla qui portait de ses deux mains la cage de transport des chats. La dénommée Callie me soutenait de ses bras tout en me plaquant contre Kayla. Son corps faisait rempart au cas où les attaques venaient de ma droite. J’entendis deux- trois bruits d’impact sourd frappé le marbre du sol d’entrée, ainsi que sur le fourgon. Je sentis Callie me soulever pour me jeter à l’intérieur dans un mouvement fluide, avant que je n’aie le temps de lever la jambe pour entrer de mon propre chef dans le véhicule. À peine installées, ce dernier démarrait dans un crissement de pneus. Kayla et Belen se débarrassaient de leurs fardeaux et se postaient à l’arrière du fourgon. Je me rapprochai des chats qui avaient été secoués et tentai de les rassurer à travers les barreaux de la cage, tout en vérifiant s’ils n’avaient pas été touchées.

– « Où sont les autres, Megan ? »
– « Deux fourgons identiques vont nous rejoindre dans quelques secondes pour semer la confusion et pousser le clan d’Anya à se séparer », indiquait la conductrice sans lâcher la route du regard. « C’est juste le temps nécessaire pour qu’elles prennent leurs véhicules et nous prennent en chasse. Quatre milices adverses sont à nos trousses et le clan de Suomi ne tardera pas à les rejoindre. »

– « Donc ? », demanda Belen.
– « On sort de Paris et leur fait croire que nous prenons l’avion à l’aéroport Charles-de-Gaulle-Roissy. Le premier fourgon en prendra la direction, du moins. A l’intérieur, une de nos amazones, déguisée en Elise, jouera son rôle. La deuxième voiture se charge de les perdre sur les voies rapides et faire semblant de regagner Paris pour s’engager dans une grande gare de leur choix. Quant à nous, nous allons nous cacher dans un petit parking que je connais, le temps qu’elles prennent toutes en chasse les deux véhicules et nous prendrons une chambre dans un petit hôtel éloigné de la ville. Nous nous terrerons là-bas un moment en attendant les ordres d’Alex. Elles ne s’attendront pas à ce qu’on reste sur le territoire français quelques jours. La lueur de notre nouvelle appelée a déclenché la convoitise de nombreux clans. Nous sommes en sous-effectif. Je ne veux pas prendre de risque et je préfère être dans un endroit « sans angles morts » en cas d’attaque. »
– « Je comprends », se résigna Belen. « Toutefois, nous ne resterons pas trop longtemps au même endroit. Nos lueurs finiront par être détectées. »

La chevauchée des Walkyries (L’Amazone, Chapitre 5)

Un coup d’œil à la vitre et je vis deux fourgons nous rejoindre, se positionnant devant et derrière le nôtre. J’observai le paysage des rues.
Paris défilait devant mes yeux quand une nouvelle salve de ricochets percutait les trois vans les uns après les autres. Certaines balles avaient percuté la vitre par laquelle je regardais le spectacle de ma fuite. Mon nouveau sursaut alerta Kayla qui se rapprocha de moi en me rassurant.

–  « Vitre par balle. Tu ne crains rien, elles vont bien se rendre compte que les balles n’endommagent pas la voiture et que cela ne sert à rien… mais garde ton casque quand même. »

–  « Elle parle anglais ? », s’étonna la conductrice.

Je n’eus pas le temps de répondre. J’étais trop flippée par les bruits de balles sur la carrosserie de la voiture. Déjà Kayla s’enthousiasmait, telle une petite fille devant son nouveau chiot.

– « Oui, et bien en plus ! Ça tombe bien, car j’étais toujours été nulle en français, malgré les cours de M. Debruis. En plus, elle arrive même à nous vanner », finit-elle dans un rire.

Callie, que la conduite chaotique de Megan ne semblait pas gêner, me tendait un sourire compatissant et plein d’excuses face au comportement exalté et presque enfantin de sa consœur. Le van tanguait à chaque virage, malgré ses capacités à tenir la route. Je ne savais à quelle allure roulait notre procession. Megan ne marquait bien sûr aucun arrêt à la vue de la signalétique routière. Je le devinais aux longues élancées du moteur sur les lignes droites. Les trois voitures s’engouffrèrent dans une ruelle près de Châtelet.

– « Attention, accrochez-vous. J’éteins les phares et m’engouffre dans ce parking souterrain. Nous allons nous détacher du groupe. »

Elle accompagna les dires du geste. Le virage à 90 degrés fut brutal.
– « Nous ressortons dans moins de dix minutes à l’autre bout du pâté de maison et rebroussons chemin pour sortir sur Porte d’Orléans. J’espère qu’elles suivront les deux autres véhicules. »
Tout devint très calme. Je resserrai près de moi la cage des chats en me calant au fond de mon siège. Je regardai Belen, puis Kayla… toutes deux étaient calmes, attentives… aux aguets. Leurs muscles étaient tendus à l’extrême, prêts à relâcher la pression au moindre appel de leurs sens. Je n’arrivai pas à garder mon calme. Et si l’un des autres fourgons se faisait avoir ? Et si d’autres nous avaient suivies ? Je sentais mon pouls battre sous ma peau pour la énième fois de la nuit. Il fallait que j’arrive à me ressaisir. J’avais réussi à le faire il y a deux jours, puis encore ce soir alors que j’étais seule. Je ne savais pas encore si je pouvais totalement leur faire confiance, ni comment je devais les considérer. Mais elles étaient mon seul rempart. Je priais intérieurement tous les saints qui pourraient protéger Gabriel et Patrick. Je me remémorais chaque objet de mon appartement qui aurait pu les trahir. Mais j’avais réussi à les emporter en même temps que mon passeport, les papiers des chats, les cartes de crédit… L’ensemble des papiers administratifs étaient à mon nom et mon adresse. Ils n’apportaient aucune information utile. Il fallait toutefois que je prévienne ma famille rapidement de mon éloignement, car ils m’attendaient pour ce weekend. Comment les dissuader de ne pas me chercher avant que je ne me manifeste ? Ils étaient encore prêts à prendre la route pour venir d’occuper de moi… Je perdais pieds face à la tournure des évènements.

– « C’est bon », dit-Megan. « Il semblerait qu’on les ait semées. »

Le van s’arrêtait en pleine campagne le long d’une nationale mal éclairée. Il y avait quatre ou cinq bâtiments, dont un hôtel. Le tout ne payait pas de mine. Mais il avait l’avantage d’être
« sans angle mort ». Une cour intérieure nous permettait de garer le van près de l’hôtel, sans que celui-ci ne soit visible des grands axes routiers. Nous avions roulé encore une bonne demi-heure après notre détachement des autres véhicules. En ce laps de temps, aucune parole n’avait été échangée. Nous étions aux aguets du moindre signe pouvant trahir la présence d’un autre clan. Je luttais toujours pour me calmer. Le fait que Belen regardait toutes les deux minutes son portable n’aidait pas. Je ressassais sans cesse les différents évènements de la semaine. Je devais halluciner, il n’y avait pas d’autres explications. J’allais me réveiller.

Nous attendions toujours les coups de fil des deux autres vans et des renforts à la recherche d’Olga. Cette dernière avait été enlevée lors de la rixe qui avait eu lieu plus tôt dans l’hôpital. D’après ce qu’avaient dit Kayla et Belen, les clans adverses respectaient deux règles lors de leur recrutement. Garder le secret sur leur existence et acquérir la nouvelle appelée. Si cette dernière était prise par un autre clan, elle devenait un ennemi, aussi douce que pouvait être cette appelée inexpérimentée. Il fallait donc l’abattre. Aussi, en découvrant l’erreur qu’elles avaient commise sur l’identité de l’appelée, qu’allaient-elles faire de ma collègue de bâtiment ? Elle avait vu trop de choses pour garder le silence et rester dans le secret.

– « On descend », asséna Megan. « On dormira là pour cette nuit. Belen, va réserver trois chambres s’il te plait. »

Je suivais le mouvement, portant la cage des chats à bout de bras. Kayla voulut m’aider mais d’un mouvement de tête, je refusai son offre. L’adrénaline n’étant plus là, elle risquait de se rendre compte du vrai poids de cette cage de transport. Je craignais qu’elles ne reviennent sur leur décision et m’ordonnent d’abandonner les chats. Malgré la douleur de mes membres blessés et la fatigue qui se faisait sentir, je continuai de marcher vers l’entrée de l’hôtel. Comme pour tout à l’heure, la troupe m’encadrait. Même si nous étions encore en danger, nous avions dû enlever nos casques et gilets pour ne pas éveiller de soupçon chez l’hôtelier. A ma grande surprise, je les vis sortir des sacs à dos « normaux », comme si l’étape à l’hôtel avait toujours été prévue. A vue d’œil, nous passions aisément pour un groupe d’amies partie en voyage. Du moins si on ne se penchait pas au-dessus du comptoir pour voir les pantalons et chaussures militaires. Elles avaient entassé leurs gilets et épaulettes d’acier dans les sacs.

En pénétrant dans l’hôtel, je notai que nous venions de tirer l’hôtelier de son sommeil. Belen s’exprimait en très bon français pour réserver les chambres demandées.

– « Oh, à ce sujet, acceptez-vous les animaux domestiques ? »
– « Oui, s’ils ne font pas de dégâts », concéda l’hôtelier. « Nous avons des litières pour

chat mais cela vous coûtera un supplément ».
– « Aucun problème », répondit-elle dans un sourire en dégainant une carte de crédit. – « Vous resterez combien de nuits ? »
– « Une normalement. Nous déciderons du programme demain. Pouvez-vous me dire également où trouver un supermarché dans les environs ? »
Je n’écoutais plus leur échange, soulagée de conserver mes chats à mes côtés pour le moment. Les plis de mon front pouvaient enfin se lisser. Je sentis Megan me tirer doucement en arrière pour réajuster ma position, en cas d’une attaque. J’étais alors en plein champ de tir via la fenêtre de l’accueil. Ce geste me rappela à ma nouvelle réalité. Nous montions déjà les marches pour rejoindre nos chambres respectives.

–  « Le petit déjeuner sera servi jusqu’à 10h30 dans la salle de réception en bas. Ma femme a équipé la première chambre de la litière. »

–  « D’accord, merci beaucoup », conclut Belen.
Kayla, qui ne comprenait rien à la conversation depuis le début, s’amusait à passer ses doigts par la trappe de la cage pour rassurer les chats qui miaulaient d’impatience. Megan lisait les messages sur son portable. Au lieu de gagner chacune nos chambres, nous entrâmes toutes dans la première. Je suivais le mouvement. En fermant la porte derrière moi, Kayla me débarrassa également de la cage et ouvrit la porte de cette dernière.

– « Bah quoi ? Ce sont des supers bons indicateurs », se sentit-elle obligée de justifier devant ses camarades exaspérées. « Ils nous ont déjà sauvé la vie. Et puis la cage est trop petite pour les deux. »

Les autres ne prirent même pas la peine d’écouter ses excuses, habituées visiblement à ses excentricités.

– « Les chambres ont des portes communicantes », lança Megan. « Callie, occupe-toi de fermer les volets. Belen, ouvre toutes les portes communicantes. On va faire de ces chambres une suite ».

Avec une synchronisation parfaite, les deux Walkyries exécutaient les ordres. Quant aux deux autres, elles ouvraient leurs sacs pour révéler une artillerie d’armes blanches à en faire pâlir Rambo. Mon regard effaré dut alerter Megan car elle vint à ma rencontre en me tendant la main.

–  « Au fait, ravie de te rencontrer, Elise. Je m’appelle Megan. Permets-moi de te dire que nous sommes contentes de t’avoir retrouvée à temps. Surprise par ton apparence, mais contentes quand même. On s’arrangera pour te rendre plus solide », lança-t-elle aux autres comme une blague que j’étais la seule à ne pas comprendre.

–  « Hé, ne déconne pas avec ça », l’interrompit Kayla pour prendre ma défense. « Elle n’a pas l’air comme ça, mais c’est à elle que je dois cette nouvelle entaille, alors qu’elle est blessée et que nous la maintenions au mur. Elle tient plus de la tigresse que du chaton. Alors méfie-toi qu’elle ne te botte pas le cul tôt ou tard. Elle s’est éveillée il y a moins d’une semaine je te rappelle. »

–  « D’accord, d’accord, je prends garde », riait Megan. « Assis-toi, Elise et détends-toi. Nous monterons la garde cette nuit, tu pourras dormir encore quelques heures. Si tu veux, tu peux même prendre une douche pour te calmer. Demain sera une longue journée. »

–  « Je n’ai plus vraiment sommeil. J’ai trop de questions en tête. »

–  « Je comprends. On peut répondre à certaines d’entre elles mais je préfère qu’Alexis t’annonce vraiment ta nouvelle condition, tes devoirs, etc… »

–  « Oh, oh, oh », la coupai-je. « Je n’ai encore rien signé. Ce weekend, j’avais prévu de voir ma famille. Ce matin encore j’avais une vie qui me plaisait assez, je dois dire. Je n’ai rien demandé… »

–  « Je comprends », tempéra Megan. « On en discutera plus tard. Pour l’instant, le plus important est que tu restes en vie. »

–  « Alors, que fait-on demain ? »

–  « J’attends les coups de fil qui me permettront de déterminer le programme », intervint Belen. Dans tous les cas, il faudra préparer ton départ et effacer ta vie d’avant, ne serait-ce que pour te faire oublier. » Cette idée me terrifiait. – « Et pour mon amie ? Vous avez des nouvelles ? »
Le regard qu’elle échangea avec Megan ne présageait rien de bon. Cette dernière prit la parole.

– « Oui, ils l’ont récupérée à temps. Mais dans un très mauvais état. »

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