Chapitre 17 – L’Amazone – Tome 1
En première ligne (L’Amazone, Chapitre 17)
Une partie de moi était soulagée de voir que la dernière vision d’Elena se révélait juste. Le soir même de la première vision commune avec Kenza, Elena avait tenté de forcer une nouvelle vision pour en apprendre plus. Elle n’y était arrivée que le lendemain après de nombreuses migraines et essais infructueux. Rien de révolutionnaire. Juste des informations sur la façon dont le clan d’Anya comptait aborder ce combat. Elena les avait vu arriver en étau autour de nos troupes. Nous avions donc décidé de les rencontrer à l’issue d’un passage rocheux de cette forêt. Ce dernier offrait un long couloir d’une quinzaine de mètres, surplombé par des murs de pierres friables de plus de 4 mètres à certains endroits. Nous avions placé des petits groupes dissimulés en hauteur pour suivre leur évolution, nous donner le signal en cas de retrait ou encore prévenir la présence de certains de leurs archers ou snipers.
Nous ne voulions pas leur gâcher la surprise de les attendre sur un poste aussi avancé de la forêt. Avec un peu de chance, leur pythie ne leur aura pas fait de nouvelles prédilections concernant cette bataille. Arrivant avec leurs torches, nous pûmes voir de loin les premières lignes avancer. Leur taille m’impressionnait. Je ne voyais pas de voltigeuse ou même cette fameuse Anya dans les premiers rangs. Rien d’étonnant quand je repensais aux méthodes peu orthodoxes utilisées lors de ses deux dernières attaques envers le clan ou Alexis. Et puis, il n’y avait qu’Alexis pour se mettre au premier rang de ses troupes pour leur prouver son leadership. Rien que d’y penser, mon irritation se manifesta inconsciemment d’un claquement de langue nerveux contre mes dents.
– « Ce qui est fait est fait », grogna doucement Kenza sous l’emprise de sa guerrière. « Je ne cautionne pas non plus mais nous allons veiller sur elle. »
Alexis, à nos côtés, devait se douter de la portée de cet échange mais le temps des débats et explications était passé. La démarche de leurs porteuses était si lourde et brutale qu’elle donnait à leur carrure un air plus agressif et volumineux que celle de nos guerrières. La masse musculaire devait être la même mais il était difficile de comparer tant la différence des équipements entre les deux clans était flagrante. Pour quelqu’un qui avait recours aux armes à feu au lieu d’armes blanches, Anya n’avait pas jugé bon d’équiper ses guerrières de gilet par balle. Est-ce une question de moyen financier ? Ou considérait-elle que ses sœurs étaient facilement remplaçables ? Je ressentais déjà beaucoup de dégoût pour cette alpha qui attaquait en fourbe avec des armes non conventionnelles, mais sa négligence à l’égard de ses propres troupes finit de sceller l’idée que je me faisais du personnage. Les muscles de leurs cuisses étaient plus que visibles, comparés à ceux de nos guerrières qui portaient jambières et tuniques en dessous. Ce sont d’ailleurs ces tuniques qui donnaient une impression de silhouette plus affinée, si l’on pouvait qualifier une porteuse de ce terme. Les bras de ces guerrières étaient majoritairement nus, et à la vue de la multitude de cicatrices sur ces derniers, je me doutais bien que les entrainements devaient être aussi brutaux qu’ils manquaient stupidement d’encadrement. De ma nouvelle vue perçante, je pouvais distinguer les nombreuses balafres sur leurs visages. Quelle tragédie cela devait être d’apprendre sa condition d’appelée et d’être recrutée par un autre clan que celui d’Alexis. Mes observations s’arrêtèrent aussi vite que débutèrent les hostilités. A la sortie de ce couloir et désormais assez proches de nous, l’une d’elles avait perçu nos premières lueurs et alerta les autres. Des torches d’appoint, disposées la veille, s’enflammèrent dans la seconde sur une superficie de cinq mille mètres carrés au bas mot pour délimiter et éclairer la zone de combat. Nos prévisions étaient fausses sur un point, ou alors leur pythie avait eu de nouvelles visions. Anya avait détaché des factions pour couvrir la gorge rocheuse. A la découverte de ces troupes, les éléments de Callie sortirent en partie de leur cachette pour entamer le combat. Déjà Kayla se lançait avec Sarah et leur groupe vers le flanc ouest pour leur prêter main forte, alors que Callie et Belen se concentraient sur le flanc est. Des cris de fureur émanaient de nos rangs, comme une réponse à la rage de nos opposantes. Les premiers échanges de lames résonnaient dans la nuit noire. Dans le fond, les corps s’entrechoquant lors des combats faisaient un bruit de fond. Aux fracas de pierre s’écrasant sur le sol, nous devinions que certains corps devaient déjà percuter les murs de roche friable. Alexis ne bougeait pas et scrutait vigoureusement le terrain. Elle recherchait la responsable de ce carnage pour régler ses comptes directement avec la concernée. Kenza et moi attendions son signal. Alexis s’impatientait. Anya ne se montrait pas et laissait ses troupes se faire massacrer. Le feulement qui sortait de la gorge d’Alexis en disait long sur ce qu’elle pensait de sa couardise. A première vue, nous avions le sentiment que nos troupes s’équivalaient en nombre, mais nous pouvions nous tromper également dessus. Certaines de leurs guerrières étaient encore engagées dans le passage rocheux et il était difficile de déterminer la taille de leurs troupes en se fiant à leur lueur. Nous étions tellement nombreuses sur ce champ de bataille condensé que les lueurs entassées des guerrières ressemblaient davantage à un feu de forêt rougeoyant et détruisant tout sur son passage. Ce n’était pas une métaphore. Leurs guerrières, si massives, détruisaient certains arbres en les percutant lors de nos attaques. Des premiers corps sans vie tombaient. Il était impossible de connaitre encore le clan qui accusait ces pertes. Des lueurs s’éteignaient dans un dernier râle. L’odeur du sang commençait à nous chatouiller notre odorat développé. Je gardais espoir quant à l’issue de ce combat : leurs guerrières étaient plus épaisses et impressionnantes mais l’entrainement d’Alexis nous avait rendues plus stratégiques, organisées et réactives.
Tombées au combat (L’Amazone, Chapitre 17)
Alexis ne pouvait plus attendre. Elle nous jeta un coup d’œil entendu de biais et partit rejoindre le front, avec ses voltigeuses sur les talons. Nos âmes de guerrières ne nous avaient jamais quittées. Elles apprécièrent toutefois de faire enfin partie de l’action. Nous tentions de créer une percée dans cette mêlée humaine pour rencontrer l’alpha effrontée qui n’avait toujours pas le cran de nous attaquer de face. Je me servais aisément de mon bouclier pour repousser les corps sur mon chemin. Kenza faisait de même et accompagnait à mon rythme Alexis qui courrait entre nous. Je faisais tournoyer avec grâce et précision mon glaive de façon à repousser les combattantes sur notre chemin. La cohue était telle que je peinais désormais à reconnaître du premier coup d’œil mes sœurs. Mon âme de guerrière s’impatientait et je pouvais presque la voir rouler des yeux en me voyant blesser mes adversaires sans les achever. Je n’étais pas encore prête, je le sentais. Mettre hors d’état de nuire, j’en étais capable. Mais quand il s’agissait de tuer, je me dégonflais. Une part de moi voulait rester Elise, juste Elise. Il était bien sûr facile de me convaincre que ma réticence à tuer, en dépit de ma nature, s’expliquait par la peur de blesser une de mes sœurs dans le combat. Mais je savais au fond de moi que mon âme de guerrière aurait pu faire la différence les yeux fermés et me guider dans ce combat avec aisance. Kenza devait partager ce point de vue car elle repoussait également l’ennemi pour le rejeter sur le terrain, quitte à ce qu’une offre finisse son travail. Alexis tenait ses promesses en participant activement au combat et n’avait vraisemblablement pas le même débat moral avec sa conscience. Elle enchaînait avec agilité et souplesse les attaques et parades. J’essayais de l’observer tout en gardant le cap et en maintenant ma concentration sur le champ de bataille mais force était d’admettre qu’elle pouvait rendre des égorgements presque poétiques. Elle ne semblait même pas souffrir de la cadence des coups portés. Je m’étonnais de faire preuve moi-même d’autant d’habilité au combat, aussi je ne la jalousais pas pour ses compétences. Je ne pouvais que l’admirer du coin de l’œil, comme une œuvre d’art qu’on contemple tout en s’émerveillant de la chance que l’on a d’être témoin de ce spectacle. Nous n’avions fait que cinquante mètres quand la pression du combat s’intensifia. Il m’était difficile de progresser davantage et encore plus compliqué de savoir si nous faisions l’objet d’un assaut spécifique. Une marée humaine s’agglutinait vers nous et notre champ d’action en était réduit. Des sœurs nous avaient rejointes pour nous prêter mains fortes ou simplement parce qu’elles se retrouvaient malgré elles enrôlées dans cette marée. Je me fis déposséder de mon bouclier dans cette cohue. Ma main resserrée sur le glaive, j’en profitais pour saisir de ma main désormais libre, une dague que j’avais dissimulée dans ma jambière. Des coups de feu retentirent. Une de nos porteuses s’écroula sur moi, touchée en pleine mâchoire. Je n’eus guère le temps de mesurer l’ampleur des dégâts car elle se faisait piétiner par les guerrières autour de nous. La marée humaine ne flanchait pas malgré ces coups de feu. Les snipers tiraient aussi bien sur nous que les opposantes. Sans surprise, il ne pouvait s’agir que de ceux d’Anya. Les nôtres n’auraient jamais pris le risque de tirer sur nos sœurs. Je restais réaliste : cette balle était destinée à Alexis. Il nous fallait avancer pour trouver cette garce d’Anya et mettre fin à tout cela. Je m’activai pour rejoindre Alexis et la mettre à l’abri. Au même instant, je perçus les cris de Kayla et Sarah qui ne lâchaient rien. Le combat était loin d’être gagné. Je me recentrais sur Alexis et Kenza. Je trouverais bien un moyen de me protéger sur le chemin. Le combat faisait encore rage. En me rapprochant de notre alpha, je la voyais scruter ardemment le terrain. Des corps continuaient de tomber, des lueurs s’éteignaient mais d’autres continuaient d’émerger. Son regard à peine posé sur le passage rocheux, déviait à la recherche d’un autre endroit stratégique. Le risque de se faire prendre au piège était trop grand, même si nous les avions menées délibérément vers ce trou. Nous ne savions toujours pas combien d’entre elles avaient fait le déplacement. Du coin de l’œil, je voyais Belen partir à la rescousse d’une de nos sœurs en difficulté. Je n’arrivais pas à distinguer son visage ou encore à comprendre la situation d’urgence. Les cris persistaient autour de moi. La lueur des feux allumés n’aidait pas à distinguer en détail la violence de la scène qui se déroulait. L’odeur métallique du sang surpassait celle de la forêt. Des effluves de sapin et terre fraîche ne restait qu’une fragrance de poussière. La porteuse rousse qui m’avait accostée ces dernières heures à la cantine s’écroulait sur moi, une hache plantée maladroitement sur son épaule. J’eus à peine le temps de l’asseoir, que son regard vide me rappelait la promesse que je lui avais faite. Son front était encore humide de transpiration. Il m’était impossible de déceler son souffle sous la chaleur suffocante du combat. Je tentai un dernier coup d’œil sur sa cage thoracique pour y voir un mouvement mais les protections et armures n’aidaient pas. Je me résolus à la traîner près d’un tronc d’arbre avant de repartir aux côtés d’Alexis, qui ne cessait de s’aventurer pour trouver un point faible dans leurs rangs. Mon âme de guerrière rougeoyait intérieurement et prit le dessus quant à mes états d’âme pour la rouquine. Le devoir avant tout.
Alexis transpirait également et son souffle était erratique. Il était impossible de savoir si cela tenait de son agitation de ne pas trouver Anya ou des altercations qu’elle enchaînait avec les porteuses adverses qui croisaient son chemin.
– « Tu as pu la repérer ? », m’enquis-je.
– « Non », répondit-elle agacée dans un grognement. « Cette mégère se cache et envoie ces filles à l’abattoir sans remords visiblement. »
Mon souffle était toujours saccadé, ce qui était incompréhensible vu la nouvelle endurance dont je bénéficiais. Cette chaleur interne commençait sincèrement à être désagréable. Kenza le sentit.
– « Elise, ça va ? Tu es touchée ? »
Je secouai la tête. Il aurait été difficile de savoir si je répondais non à sa première ou deuxième question mais notre rapprochement faisait qu’elle avait compris ce à quoi je faisais allusion. Ses mains ensanglantées se resserrèrent sur son arme, ses yeux se figèrent. D’une voix caverneuse, elle m’intima un ordre simple « laisse-la sortir ».
– « Quoi ? », s’inquiéta Alexis.
– « On te couvre. Laisse-la prendre les choses en main, ça ne prendra que quelques secondes. »
Je n’avais toujours rien compris mais son ton ne laissait place à aucune réplique.
– « De quoi parles-tu ? ».
Je remerciai Alexis intérieurement de ses questions qui pouvaient m’aider à comprendre.
– « Sa guerrière ! », grogna Kenza. « Qu’elle la laisse sortir ! »
Je me tournai vers Alexis, bien incapable de savoir ce qu’elle voulait dire ou comment le faire. Même si je gardai cette appréhension face à sa violence, l’heure n’était pas au débat philosophique ou moral. Alexis dut s’en rendre compte.
– « Fais le vide dans ta tête. Quand tu la sentiras émerger, ne résiste pas. »
Delia (L’Amazone, Chapitre 17)
Les chocs entre les corps et les armes ne cessaient de s’intensifier. Comment méditer dans une telle situation. Je fermai les yeux à demi pour essayer de localiser sa colère. L’étau du combat se resserrait sur nous, les guerrières se faisaient de plus en plus proches et je savais que Kenza commençait à en repousser certaines. Je devais faire vite. Je cherchais en moi ce qui m’animait depuis le combat. Ce bruit sourd qui me donnait le courage et la hargne nécessaires pour me jeter sur le champ de bataille. Malgré les cris ambiants, je perçus cette drôle de sensation dans ma poitrine. Je me focalisais sur cette source de chaleur qui me donnait comme des impulsions électriques à chaque fois que j’enchainais des passes d’armes depuis le début du conflit. La laisser grandir en moi était plus difficile que je ne le pensais. Ma réserve habituelle l’avait tellement bridée que je ne savais pas comment la libérer. J’essayais de parler intérieurement à ma conscience en espérant que mon âme de guerrière pourrait entendre. « Vite, je n’ai pas le temps. Prends le lead… je ne sais pas comment faire pour te passer la main… On ne peut pas perdre. Pas après tout ça. Allez… » Je m’impatientais. Un bruit glaçant d’os cassé résonnait à mon oreille. Je m’étonnais de ne pas avoir encore été touchée par les adversaires qui s’approchaient. Alexis échangeait aussi les coups pour me maintenir à l’abri. « Ce n’est pas son rôle… Nous devons la protéger… Allez, manifeste-toi ! Qu’est-ce que tu fous ? Tu me fais chier à vouloir sortir depuis le début et maintenant tu fais la morte ?? ». Je m’apprêtais à ouvrir les yeux pour repartir au combat quand je sentis des picotements dans mes mains. Très rapidement, ces derniers remontaient aux épaules et commençaient à se manifester dans les cuisses. La peur me prit à la gorge. Je devais me calmer. Il fallait la laisser prendre le dessus. Elle serait toujours plus efficace que moi sur le terrain. Une vive brûlure se fit sentir sur mon épaule droite. Mon corps n’était plus que fourmillements et je ne pouvais que m’inquiéter du temps que cela prendrait avant d’être de retour définitivement sur le champ de bataille. Je n’eus pas le temps de finir de formuler ces peurs qu’une décharge électrique s’abattit en moi. Mes muscles se crispèrent à l’unisson. Plus de fourmillements, plus de doutes, plus de douleurs ou encore de réflexes musculaires incontrôlés que je pouvais avoir jusqu’ici. Le calme. Le calme qui s’accompagnait d’une chaleur interne. Rien d’inconfortable ou douloureux, juste une température plus élevée. Cela dut transparaître sur ma lueur car les corps autour de moi marquèrent un sursaut et ralentirent le rythme des échanges.
– « Elise, ça va ? », s’inquiéta Alexis.
Je ne pris pas la peine de répondre. J’étais là mais en tant que spectateur. Elle me laissait voir la scène via ses yeux. Enfin les nôtres, je pense. Je savais déjà que mes muscles ne répondraient à aucun de mes ordres. Elle avait pris le contrôle. La tension dans mon corps me donnait le sentiment d’une poigne d’acier dans mes mains, d’une force physique comme je n’en aurais jamais avant des années d’entrainement. Et encore… Ma vision périphérique avait changé également. La façon dont je voyais les lueurs autour de moi était différente. J’identifiais plus facilement les nôtres mais je décelai également celles qui faiblissaient et n’allaient pas tarder à passer l’arme à gauche. Une bouffée de colère remonta dans ma gorge, me rappelant l’injustice de ce combat mais également la sauvagerie de ma guerrière.
– « Elise ? », répétait Alexis, tout en repoussant d’un coup de pied dans les cotes flottantes une porteuse du clan averse.
– « Ce n’est plus elle… argh », souffla dans l’effort Kenza, qui ne laissait pas sa part au combat. Ma tête fit un quart de tour dans un mouvement inhumain. Une voix qui ne ressemblait aucunement à la mienne sortit de mes lèvres.
– « Delia. »
– « Qu’est-ce qu’elle essaie de nous dire ? », angoissa Alexis.
– « C’est sa guerrière. Son nom, je crois », répondit Kenza rapidement.
Alexis grommela quelque chose qui ressemblait à « Voilà autre chose encore ! ». Mes mains se levèrent à hauteur de mes coudes. Déjà Delia se lançait sur les opposantes. Ses bras tournoyaient dans les airs en découpant au passage nombre de membres chez nos opposantes. Tout allait si vite que je me devais me concentrer pour m’assurer que nous évitions les coups et qu’elle ne tuait pas au passage. L’éventualité qu’elle s’en foutait me laissait un goût amer car je me doutais qu’elle ne me laisserait pas reprendre le contrôle pour l’arrêter. Les armes étaient le prolongement de mes bras et j’en jouais comme un chef d’orchestre manie sa baguette. Tout était alors facile, comme une chorégraphie que l’on répète depuis des années. Je ne ressentais aucune fatigue, aucune douleur. J’espérais qu’elle faisait assez attention pour me rendre notre enveloppe dans un état acceptable à la fin du combat. Tel un radar de jeu vidéo, je voyais les lueurs adverses approcher de mon champ d’action. Delia voltigeait d’une combattante à une autre pour la mettre hors d’état de nuire. L’odeur du sang ne me choquait plus. Seules les éclaboussures de ce dernier son notre visage me fit frémir intérieurement. Je n’avais plus rien à envier à nos guerrières aguerries. Nos armes étaient le prolongement logique de nos bras. Notre nouvelle force nous permettait de renverser la tendance de combat sur notre périmètre. Lorsque nous frappions une adversaire, nous ne la faisions plus seulement reculer. Nous l’envoyions inconsciente sur le sol quelques mètres plus loin. J’adorais cette sensation. J’embrassais cette nouvelle condition. Alexis et Kenza s’ahurissaient devant cette nouvelle force hors du commun. Delia se réjouissait de laisser libre cours à sa bestialité. Je sentais qu’elle appréciait de me voir étourdie par sa force et ses capacités, mais il n’y avait aucune malveillance dans cet orgueil. Elle était plutôt contente de me prouver qu’elle était digne de confiance. Il ne s’était passé que quelques secondes depuis l’émergence de Delia, mais déjà nous sentions un retournement de situation. Les coups de feu se faisaient plus rare. La première à montrer des signes inquiétants était Gwen. Du moins, c’est ce que je ressentis. Je la vis se recroqueviller, les yeux effarés. Son corps tremblait frénétiquement et elle tentait désespérément de se défendre avec de petits gestes nerveux et incohérents. Delia attira mon attention sur une sensation identique mais plus forte qui se faisait sentir à l’arrière de nos rangs. Je compris en un quart de seconde. Ne pouvant parler, je me forçais à m’adresser à Kenza en espérant qu’elle pourrait me lire.
– « Elise me dit que c’est Elena qui subit cette attaque, cette terreur », cria-t-elle. Dieu merci, la connexion existait encore avec Kenza quand Delia prenait les commandes.
– « Gwen ! Envoie du renfort à Elena et mets-toi à l’abri. Tu vas devenir un poids mort pour nous si tu restes ici », hurla Alexis qui continuait le combat.
L’illusionniste (L’Amazone, Chapitre 17)
Je vis un regard entendu entre deux géantes en face d’elle. Je scrutais ce qu’il se passait. Ce sentiment de malaise et de peur se généralisait autour de nous. Nous en étions la cible directe. Nos sœurs affichaient petit à petit se regard fixe et effaré, et arrêtaient de combattre, comme gelées sur place. Les opposantes en profitaient et blessaient sauvagement les nôtres. Sans y réfléchir deux fois, je m’autorisais à faire ce que je ne faisais pas en temps normal par respect pour mes sœurs : je lisais leurs émotions. Rapidement, je perçus les illusions qui leurs étaient envoyées. Elles n’étaient jamais les mêmes et faisaient appel à leurs peurs les plus profondes. Noyades, mort de proches, serpents…. Très vite, je me mis à lire les émotions et l’état d’esprit de l’ennemi. De la confiance… et une surprise de taille pour nous, une botte secrète. Une amazone qui brouillait les esprits. Je me mis tout de suite en quête de l’esprit de Kenza pour communiquer l’information mais surtout m’assurer qu’elle n’avait rien.
– « Elise me dit qu’elles ont une guerrière qui nous envoie des illusions », hurla-t-elle pour nos sœurs.
Mais personne ne lui répondait. Il était visiblement trop tard pour Alexis et les autres. Gwen gisait à terre. Déjà, de nouvelles opposantes approchaient de nous. Je fus surprise de ne constater aucune altération du comportement ou de l’acuité de Kenza. Elle semblait immunisée. Je sentais comme un acharnement sur moi, comme si j’étais poussée dans le dos. Avant que je ne puisse partager cet inconfort, ma vision rougeâtre se floua et devint noire. Comme un élastique qui éclate, Delia était renvoyée au plus profond de moi, laissant revenir à l’assaut toutes ces sensations très humaines dont je me serais bien passée pour ce combat. La panique ressurgissait. J’avais beau appeler Delia à la rescousse, elle ne pointait pas le bout de son nez. Devant mes yeux, dansaient des images des corps de Gabriel, Patrick et Alexis mutilés. Je me forçais à respirer à fond. Si Kenza n’était pas affectée, tout n’était pas perdu. Je me concentrai pour apercevoir dans ma cécité actuelle des lueurs. Celles en mouvements ne pouvaient être que nos adversaires, aussi je balançais dans les airs, avec le plus de précision possible ma lame. De l’endroit d’où venait ce brouillard malsain, je sentis de l’exaspération. Elle était destinée à Kenza.
– « Je sais. Elles ne comprennent pas pourquoi je ne suis pas touchée. Elles s’énervent », grogna-t-elle en repoussant quelques adversaires un peu trop entreprenantes.
Dans un sursaut de surprise, elle se jeta sur Alexis pour la mettre à couvert. Un nouveau coup de feu venait de partir. Je n’avais pas eu le temps de prévoir cette attaque, mais ne pris pas la peine d’en chercher la raison, car le corps d’Alexis percutait le mien de plein fouet. Je maudissais encore la perte de cette connexion qui nous avait peut-être fait perdre cet atout. Je n’étais visiblement pas encore assez forte pour la maintenir. Dans le feu de l’action, Kenza s’était blessée le bras et les paumes sur la lame que serrait farouchement Alexis pour se défendre contre cet ennemi inconnu. Ces guerrières la jouaient vraiment à la déloyale… La situation me paraissait tout à coup désespérée. N’étant plus affectée par ces horribles visions, je ne perdais pas de temps et me jetais de nouveau au combat. Nos adversaires n’étaient pas affectées par ces illusions et avançaient droit sur nous. Je tentais de me connecter sur la vision de Kenza pour me guider dans ma défense. Tout était flou et je ne voyais ce qui m’entourait que lorsque Kenza regardait dans ma direction. Autant dire que cela ne facilitait pas la tâche. Je ne cessai d’espérer que ma propre vision, même voilée de rouge, me revienne. Je balançais à mon tour maladroitement un glaive, ramassé à la hâte sur le sol, après avoir butté dessus avec mon pied gauche. Je n’allais pas survivre avec cette stratégie. Je cogitais à vitesse grand V pour trouver une nouvelle solution. Sentant un coup venir vers le haut, j’interposai à la dernière minute mon glaire à l’horizontale pour le parer. Le plat de ma main gauche qui servait à maintenir la lame fut entaillée sous l’impact. Je fermais brusquement les yeux de douleur. La fatigue commençait à me gagner. Puis, la solution s’imposa à moi. Je m’en voulus d’être aussi sotte pour ne pas y avoir pensé plus tôt. Je fermais définitivement les yeux et me fiais à mes autres sens pour me guider. Tous ces entraînements dans les marécages et les combats de nuit avaient bien une finalité dans mon entrainement. Un regain d’espoir m’envahit. Me fier à l’ouïe se révéla plus difficile que je ne le pensais avec le brouhaha ambiant mais ma nouvelle nature était plus sensible aux déplacements d’air, aux ondes véhiculées lors des mouvements vifs de nos corps. Je les sentais venir. Mes parades se faisaient de nouveau plus précises. Autour de moi, je ressentis un entrain chez certaines de mes sœurs mais je devinais que la majorité d’entre elles souffraient encore de ces illusions. Il nous fallait très vite identifier cette garce. Alexis tentait de se reprendre et voyait sans peine le danger qui guettait nos sœurs dans les secondes à venir si nous ne pouvions reprendre le contrôle. Je la sentis s’éloigner pour rendre coup pour coup à l’assaillante. Mon pied buttait sur un corps. Je me concentrais pour scruter les émotions autour de moi. Il me fallait trouver des informations sur cette illusionniste. Je n’arrivais pas à la localiser en revanche je sentais une pression en moins sur Kenza. Cela ne pouvait qu’être elle depuis le début. Elle avait sûrement décidé de s’effacer et éviter Kenza en sentant sa force mentale. Pour gagner, elle allait jouer sur la montre en continuant d’immobiliser le reste de nos troupes jusqu’à ce que l’on soit en sous-effectif sérieux.
– « Oui, je m’en doutais aussi. Cette pétasse craint que je ne la retrouve. C’est une piètre combattante. Je n’arrive pas encore à la discerner dans cette foule ou encore dans le futur proche, pour l’identifier, mais j’y travaille ».
Je lui recommandais intérieurement d’être prudente. Je savais qu’elle m’entendrait même en l’absence de confirmation de sa part.
Une vague de haine et de colère s’approchait et menaçait de se déverser sur moi dans les secondes à venir. Nos troupes devaient avoir reculé sous l’assaut de l’ennemi. Au moment où je m’apprêtais à me lancer à « l’aveugle » vers cette boule d’énergie négative, je fus interrompue par des projections de missiles sur ma droite. Dans un sursaut, je perçus des lueurs, étrangères ou non, parmi des troncs d’arbres et autres éléments de la nature. Quelqu’un projetait à tout hasard tout ce qui se trouvait sur son chemin pour déstabiliser à son tour le combat. Sarah. Je sentais sans peine la confusion, la peur mais surtout le chagrin de risquer la vie et la santé de ces sœurs, mais elle n’avait trouvé que cette solution par dépit. Elle se doutait bien également que nous n’allions pas tenir longtemps si nous étions toutes paralysées. Au vu des trajectoires et des personnes choisies comme missiles, je n’avais aucun doute sur le fait qu’elle était elle-même prisonnière de ces visions. La distraction eut l’effet escompté car la pression que je subissais s’évaporait. Je retrouvais ma vue et certains de mes instincts. Dans ce nouveau mouvement panique, l’ennemi reprit ses tirs gratuits dans la foule. A peine ouvrai-je les yeux que je vis à travers le voile rouge une balle se loger dans le torse de Mei-Wen. Son regard se vida en un quart de seconde, pour ne laisser transparaître que l’horreur de la situation dont elle venait de prendre conscience. Je savais que la douleur ne l’avait pas encore atteinte. Je savais aussi que son enveloppe était désormais vide. Elle s’écroula à cinq pas de moi sans que je ne puisse faire le moindre mouvement. Comment était-ce possible ? Son armure encore étincelante n’affichait qu’un défaut : un opercule d’où s’écoulait un liquide sombre. Je n’avais toujours pas bougé. Je venais de voir une des miennes, arrivée en même temps que moi au sein du clan, mourir sous mes yeux. Et pourquoi ? Pour une guerre qui n’avait aucun sens. Pour un oubli de gilet pare-balles. Elle s’était tant entraînée. Comme une gifle que l’on venait de m’administrer par surprise, mon esprit était encore en état de choc. Je me forçai à quitter cette torpeur pour repartir encore et toujours au combat.
Me remémorant les séances d’entraînement, je repartais avec plus de hargne sur l’ennemi. J’utilisais toutes les stratégies enseignées pour les tromper et les mettre hors d’état de nuire. Ma colère était telle que je ne frémissais plus lorsque ma lame tranchait un membre. Ma taille et ma rapidité me donnaient un avantage certain contre ces colosses. Il ne s’était écoulé que quelques minutes quand j’entendis en moi un hurlement de joie. Kenza était sur la trace de cette garce d’illusionniste et se chargeait de régler le compte des guerrières en charge de sa protection. Je tentais de la localiser pour la rejoindre. J’enroulai dans une parade mon bras autour de l’épaule de mon opposante, lui mis un coup de tête avant de la désarmer et de l’assommer du manche de mon arme sur sa tempe. Je courrais aussi vite que possible vers Kenza en évitant les coups des combats qui se déroulaient à mes côtés. Elles se trouvaient dans une petite clairière entourée d’arbre, à l’écart de la bataille générale. Des corps jonchaient sur le sol. Au vu de la scène, il ne pouvait que s’agir de l’œuvre de Kenza, qui avait mis hors d’état de nuire les guerrières. Je restais optimiste quant à l’état de ces dernières : elles auraient eu moins de chance de survie si Kayla ou les autres leur étaient tombées dessus. Kenza échangeait les coups avec brio avec la dernière guerrière qui servait de rempart. Kenza mis à terre son opposante. Un genou sur le sol, cette dernière semblait se soumettre. Kenza reprenait son souffle d’un sourire satisfait. Mais quelque chose n’allait pas. Je ne sentais pas le défaitisme chez cette porteuse. Je ressentais presque l’opposé… un regain d’espoir. De la malice. Kenza donnait un coup de pied dans son épée pour l’éloigner et recula en lui tournant le dos pour sentir l’illusionniste. Je n’eus pas besoin de voir le geste suivant pour comprendre ce que tramait cette garce au sol. Sa perfidie en disait beaucoup. Avant le hoquet de surprise de Kenza, je courais vers la guerrière d’Anya pour la désarmer de sa dague, lui tranchant au passage une partie de ses doigts. Mon arrivée n’avait rien de gracieux et avait bousculé Kenza au sol. Comme pour la précédente combattante, j’assommais la porteuse pour la mettre hors circuit pour le moment. Ne voyant pas de lueurs autour de nous, je tendis ma main blessée avec celle de Kenza pour l’aider à se relever. Une décharge sans précédent nous saisit du bras jusqu’à notre tête. Le choc était tel que nous clignâmes des yeux à maintes reprises, incapables de retrouver nos sens.
– « Enfin », m’exclamai-je avec une joie et un soulagement que je ne reconnaissais pas.
Je ne comprenais même pas le sens de ce mot. Je sentais que Kenza non plus, mais pour une raison que nous ignorions, elle ressentait les mêmes émotions. Perdue, elle regarda nos mains d’où était partie la décharge.
– « C’est notre sang… », souffla-t-elle.
– « Tu crois que c’est un truc de voltigeuses en symbiose ? »
– « Je ne sais pas. On demandera plus tard. Il faut en finir avec l’illusionniste. »
Comme un rappel à l’ordre synchronisé, nous entendions Megan réorganiser notre défense. L’illusionniste devait perdre ses facultés avec le sentiment de peur qui l’envahissait. Cela avait dû rendre à certaines de nos guerrières leurs moyens. Je comprenais mieux pourquoi Alexis tenait tant à ce que nous n’utilisions pas nos dons pour les entrainements physiques. La peur de ne pas s’en sortir et de ne pouvoir compter sur ses forces annihilait n’importe quel don. Kenza se raidit et, le regard alerte, se mit à courir vers l’est. Sur ses talons, je n’eus pas longtemps à sprinter pour confirmer ce que je pensais. Kenza se jetait déjà sur cette porteuse. Cette dernière était entourée de nouveaux gorilles, chargés de sa protection. Anya avait décidément mis les moyens pour protéger son arme secrète. Beaucoup plus que pour protéger le reste de ses filles qu’elle avait envoyées en premières lignes de combat avec un équipement qui ferait rougir nos jeunes recrues. Je me chargeais déjà des deux derniers sbires accolés à l’illusionniste. Kenza avait un compte à régler avec cette dernière. Pour finir de ternir son image, cette géante ne cessait de fuir et d’esquiver les attaques de Kenza. De la lâcheté jusqu’au bout. Cette nouvelle connexion avec Kenza me faisait ressentir la bile qui lui remontait sous la rage face à ce comportement déshonorant. Ayant retrouvé la totalité de mes sens, je n’eus aucun mal à me débarrasser des piliers en charge de sa sécurité. La fatigue était toujours là mais le sentiment d’arriver enfin au bout me redonnait le regain nécessaire.
Autour de moi, les claquements métalliques s’intensifiaient. Nos sœurs devaient également retrouver petit à petit leurs facultés. Acculée contre un mur, l’illusionniste lança maladroitement une dague ramassée près du corps inerte d’une de ses protectrices. Kenza l’esquiva avec facilité. L’illusionniste profita de cette demie seconde pour reprendre la poudre d’escampette et se rediriger au cœur du combat. Espérait-elle se dissimuler plus facilement dans la masse ? Quelle idiote ! Maintenant que Kenza connaissait sa lueur et son visage, elle pourrait la traquer jusqu’au bout du monde… Ma comparse et moi la suivions de près. Il ne lui restait que quelques mètres avant de rejoindre la foule. Nous sentant trop proches d’elle pour y arriver, elle dévia sur le côté pour se jeter d’un bond sur la hache que l’une des nôtres levait lors un corps à corps avec une assaillante. Lui volant son arme, notre sœur n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait ou reprendre ses esprits que le glaive de l’assaillante lui transperça le thorax. Cela n’avait duré qu’un quart de seconde. Encore une fois. Un quart de seconde pour changer le tracé d’une vie, le destin d’une personne. Un quart de seconde pour provoquer une nouvelle injustice, une nouvelle perfidie. Kenza et moi étions à bout. Alors que l’illusionniste brandissait sans grandes convictions cette hache volée en guise de mise en garde à notre encontre, Kenza m’envoya une image limpide mais efficace. Je compris tout de suite ce qu’elle voulait faire. Le mépris était la seule réponse à cette traitrise et cette bassesse d’esprit. Dans cette vision, je voyais la porteuse du clan adverse, sur notre gauche, qui tentait de creuser de nouvelles percées dans nos rangs en maniant lestement et sans prêter grande attention à la précision de son geste une fauche dont le manche tenait à distance nos sœurs. Son masque de fer restreignait fortement son champ de vision. Elle n’avait visiblement pas noté notre petit groupe à ses côtés. D’une synchronisation parfaite, nous commencions alors à acculer de nouveau l’illusionniste pour la faire reculer dans cette direction. Je la désarmais de sa hache. Nous évitions sans grand effort les coups adverses des autres guerrières. Lorsqu’elle fut assez proche de la faucheuse, Kenza se cala sur le tempo de cette arme qui tranchait à l’aveugle pour projeter cette garce sur la lame, d’un coup de pied au plexus. Sa nuque amortit le choc en premier et se découpa sur cette lame aiguisée avec une aisance presque naturelle. Dans toute l’horreur que pouvait offrir ce spectacle pour les appelées que nous étions encore, il y avait une forme de délivrance et de grâce dans la façon où ce cauchemar se terminait. La porteuse au masque de fer n’avait même pas pris conscience de ce qu’elle venait de faire et continuait de faucher aux alentours. Triste fin pour cette illusionniste. Pour finir cette fable méprisante, je filais un coup de main à mes sœurs en coupant celles de la faucheuse. Son arme tomba au sol avec les membres tranchés. L’arme ne fit aucun bruit sous l’impact au sol. Les cris de sa propriétaire couvraient sans peine ce dernier.
Nous n’eûmes le temps de reprendre notre souffle que des détonations résonnèrent ici et là. La fourberie était décidément la signature de ce camp : sentant le vent tourné et l’issue du combat leur échapper de nouveau, elles avaient eu recours à des explosifs pour blesser le plus grand nombre. Des hurlements de douleurs se firent entendre à chaque impact. Certaines d’entre nous se repliaient, d’autres au contraire se dispersaient pour essayer de se mettre à l’abri. Cela ne ressemblait pas à la cohue observée lors de notre première altercation au sein de notre clan. Mais la fatigue et l’horreur d’avoir vu certaines d’entre nous tomber au combat avaient raison de la discipline que nous voulions nous imposer si le clan d’Anya avait de nouveau recours à ce stratagème. Dans la fumée et la poussière soulevée par ces explosions, nous vîmes Gwen, Elena et d’autres encore revenir de part et d’autre, par leurs propres moyens et couvertes de sang, après avoir été projetées lors de ces explosions. Megan, Callie, Sarah, Belen et Kayla se précipitaient déjà pour les rejoindre et les encadrer. La forêt était en feu. L’air était irrespirable. Une fournaise à l’odeur métallique de sang versé. Les lueurs étaient de nouveau perceptibles mais elles ne faisaient que me rappeler le nombre de guerrières tombées au combat. Choquée, je constatais le nombre de victimes dans le clan d’Anya. Elle n’avait eu aucun scrupule à sacrifier ces vies… Après avoir semé la panique, certaines cheffes de factions ennemies incitèrent avec rage leurs troupes à repartir au combat au corps à corps. Kenza avait l’impression que ce combat durait depuis des jours. Pour moi, nous ne nous battions que depuis une heure. J’avais sans doute perdu la notion du temps. Le soleil commençait à se lever. Après avoir mis à l’abri certaines de nos sœurs, nous repartîmes nous battre. Sans l’illusionniste pour perturber nos sens, nous reprenions l’avantage grâce à nos techniques de combat. La synchronisation et le travail d’équipe nous rendaient la tâche facile.
La Traitresse (L’Amazone, Chapitre 17)
Quelques moments plus tard, un cri de victoire se fit entendre chez l’ennemie, pourtant éreintée. Le combat cessa à l’instant sans que l’on comprenne vraiment ce qu’il se passait. Comme si un arbitre avait sifflé la fin du match. Nous menions pourtant le combat. Les regards éberlués que nous nous échangions entre sœurs ne faisaient que confirmer l’incompréhension de la situation. L’une d’entre nous finit par pousser un cri d’effroi. La fumée avait du mal à se dissiper. Des nuages de poussières et cendres se déclinaient sur des tons orangés, alimentés par les feux qui embrasaient ici et là arbres et arbustes. Quand un courant d’air balaya un peu la zone, nous aperçûmes à une trentaine de mètres de nous, Alexis qui se tenait à genoux, maintenue par cinq porteuses. Sa nuque était contrôlée dans un angle qui justifiait amplement les traits de douleur qui se lisaient sur son visage en sang. Cette vision nous donna à Kenza et moi l’impression d’être vidée de notre propre essence. De nombreux cadavres aux armoiries d’Anya jonchaient sur le sol, dans la lignée de la trajectoire qu’Alexis avait dû prendre. Elle avait cueilli à son tour nombre de vies pour tenter de s’approcher de l’alpha fantôme. D’instinct, nous nous précipitâmes vers Alexis, mais un ordre nous arrêta sur le champ.
– « Restez où vous êtes, les scouts ! Ou nous l’égorgeons directement sous vos yeux », cria une voix disgracieuse avec une pointe de dédain à notre égard.
Une rousse imposante et défigurée sortit nonchalamment de sa retraite près des arbres qui n’avaient pas encore brûlé. Son corps cumulait plus de cicatrices que Kayla et mes sœurs réunies. Sa peau tannée par le soleil n’avait rien de saine. Elle n’était que tâches et scarifications en tout genre. Ses muscles avaient été forgés au couteau. Sa lèvre inférieure était proéminente et donnait un air déséquilibré à son visage. Un résidu de salive semblait avoir élu domicile sur cette dernière, ce qui entraînait des postillons incontrôlés à chacune de ses paroles.
– « Vos armes ! », hurla-t-elle comme une hystérique.
Le cliquetis métallique des armes qui touchaient le sol me fit comprendre que mes sœurs s’exécutaient. Un regard en direction de Megan et Kayla me fit comprendre que nous étions en présence de la fameuse Anya. Un goût de bile aux relents de mépris me remonta à la gorge. Je desserrai malgré moi mes doigts des armes encore tiède du sang de l’ennemie. Quand le bruit des cliquetis se fit plus rare, l’ogresse reprit avec un sourire moqueur.
– « Non pas que nous lui épargnerons ce destin, mais vous m’enlèveriez le plaisir de pouvoir la torturer sous vos yeux ».
Elle nous défiait du regard en attendant presque avec impatience que l’une d’entre nous passe à l’attaque. Elle ne vivait que pour la violence et la barbarie. Alexis évitait notre regard. Toute sa colère se tournait contre elle-même pour s’être laissé prendre. Devant notre docilité, Anya fit signe du menton à ses filles les plus proches, qui n’attendaient que ce signal pour se jeter sur nous et nous administrer quelques coups motivés par la vengeance. Certaines se prirent des coups de coude au visage, d’autres des coups de pieds dans le ventre ou la mâchoire, lorsque l’ennemie avait encore assez de force ou d’énergie pour lever la jambe plus haut. Pour ma part, une lame se planta dans ma cuisse et en ressortit aussitôt. Je me refusais à offrir le plaisir de m’entendre crier, gémir ou de me voir faiblir, à celle qui s’était permis ce geste. Je restais droite sans vriller mon regard d’Alexis. Mes sœurs étaient affaiblies et abattues par la tournure des évènements. Comment pouvions-nous perdre après tout ça ? Anya s’avançait davantage dans la lumière pour constater par elle-même l’étendue des dégâts dans son propre camp. Cela ne la déstabilisa pas plus que cela. Quand Alexis aurait pleuré devant le corps d’une d’entre nous, Anya ne fronçait même pas un sourcil devant les corps sans vie de dizaines de ses filles.
– « Approche ! », lança-t-elle presque blasée en se retournant vers l’endroit d’où elle venait. « Profite du spectacle depuis le temps qu’on y travaille, c’est la moindre des choses. »
Déception, surprise et consternation se mêlèrent dans les souffles et petits cris de surprise émis par mes sœurs. La silhouette d’Ankara s’approcha d’Anya. Comment n’avais-je pu me rendre compte de son absence durant tout ce temps ? Une vague de haine monta en moi. Et moi qui pensais ne pas pouvoir éprouver plus de colère à son égard.
Je regardais avec fureur Ankara. Malgré tout le mal que je pensais d’elle et les soupçons qui m’avaient incitée à la surveiller de près, je n’aurais jamais cru qu’elle puisse être capable d’une telle chose. Une partie de moi avait au fond toujours refusé de le croire. Elle qui avait été accueillie et protégée par notre clan. Comment pouvait-elle se retourner contre Alexis ? J’avais beau me dire qu’elle l’avait fait en raison de notre arrivée et en rejet à la décision d’Alexis de nous protéger et nous garder, je ne pouvais imaginer qu’un tel refus puisse mener à un acte aussi vil envers sa bienfaitrice. La géante rousse au corps plus recousu qu’une poupée de chiffon s’était approchée de notre alpha. Le poing droit d’Anya atterrit lourdement sur son visage. Alexis, maintenue à genoux au sol ne pouvait s’écrouler, même si son corps avait lâché. Son regard, cependant, montrait clairement qu’elle ne lui offrirait pas ce plaisir.
– « Tu croyais vraiment avoir une chance face à nous ? Face à moi ? »
Alexis lui répondit d’un sourire narquois, ce qui n’arrangeait pas les choses.
– « Tu te crois si maligne à genoux devant moi, avec toutes tes sœurs que tu as menées à la mort ? La grande Alexis : gardienne des âmes perdues et bienfaitrices des combattantes à la ramasse ! », s’exclama-t-elle pour ses troupes.
Il n’y avait aucun trait d’humour mais le signal qu’elle venait de donner au reste de ses troupes les incita à sortir un rire forcé. Elle ne se rendait même pas compte des pertes essuyées et de la fatigue de ses sœurs.
– « Tu me dégoûtes avec tes idées pacifiques de cul béni », reprit-elle près de son visage. « Tu es tellement décevante que tu as fini par écœurer certaines de tes filles qui n’ont pas hésité à me rejoindre. Tu n’imagines pas la joie d’avoir vu arriver chez moi cette grande perche pour me filer un coup de main et te dégager du trône que tu ne mérites pas. »
Je scrutais Ankara à la recherche d’une lueur particulière ou d’un détail que j’aurais raté et m’aurait indiqué sa future trahison mais rien ne venait. Comment avais-je pu louper cela alors que je m’entrainais avec elle…
– « Tu étais tellement obsédée à l’idée de renier ta nature que tu as mené tes troupes à leur perte. Une amazone reste une amazone et tu n’arriveras jamais à canaliser cette violence qui nous habite. »
Sur ce, elle balança un coup de pied dans le ventre. Entre une fois, Alexis encaissa le coup et fit tout son possible pour ne montrer la douleur, le choc ou encore la peur. Le regard que lui tendait alors Anya ne faisait aucun doute sur la frustration de ne pouvoir « casser » son ennemie.
– « Ah toujours à jouer les fières… On va s’amuser un peu alors. On va voir comment tu vas réagir quand j’égorgerai tes protégées une par une. »
Les pupilles d’Alexis marquèrent un sursaut. Je ressentais alors sa terreur. Anya avait trouvé le point faible d’Alexis. Je ressentais aussi la colère et le désespoir dans nos rangs. L’écho de coups de feu au loin continuait de retentir. Il devait s’agir de guerrières qui n’avaient pas entendu les derniers ordres et poursuivaient le combat plus loin.
– « Oh, ne t’inquiète pas… on va garder tes perles rares, après les avoir malmenées, pour rejoindre de gré ou de force nos rangs », dit-elle d’un air mauvais en nous scrutant, Kenza et moi.
Elle se mit à faire les cent pas autour d’Alexis, en songeant avec malveillance à ce qu’elle comptait faire pour savourer ce moment.
– « Pourquoi ? », demanda calmement Alexis.
Anya se retourna rapidement, avant de comprendre que ceci ne lui était pas destiné. Elle se retourna vers Ankara pour apprécier sa réponse, le sourire aux lèvres.
Ankara s’approcha à son tour, en toisant Alexis de haut.
– « C’est à moi de te poser cette question. Pourquoi renier notre nature ? Pourquoi nous forcer à travailler gentiment comme de bonnes petites abeilles ? T’es-tu déjà demandé si cette organisation nous convenait à toutes ? Si ce rythme était supportable pour nos âmes de guerrières ? Tu nous as castrées psychologiquement pour amasser du fric ou pour vivre pépère dans un petit complexe, en nous faisant faire un peu de sport pour éviter qu’on se rebelle ou qu’on s’empâte pour tes missions rémunérées. »
Elle s’agenouillait pour lui faire face. Anya se délectait de cet échange.
– « Tu as fini de me dégouter en accueillant tes deux nouveaux clebs sur lesquels tu te reposes. Elles sont montées comme des barbies, mais le plus important à tes yeux est leur lueur et leur don. Tu ne savais même pas de quoi elles étaient capables ni si elles nous mettraient en danger, mais « hé, collectionnons-les comme des Pokémon ». Après nous avoir amoindries et affaiblies, tu as préféré nous mettre en danger pour des minions dont tu ignores tout. Tu te crois si forte avec tes deux pygmées à tes côtés ? Tu as l’impression qu’elles vont pouvoir sauver ta peau ? Regarde les bien. Regarde-les bien », hurla Ankara au visage d’Alexis, qui n’affichait aucune expression. « Tu as cru que j’allais te suivre dans ce délire et me laisser dépasser par ces deux miniatures qui ne servent à rien ? Après tout ce par quoi j’étais passée, je méritais d’être ton bras droit et ton successeur ! »
Elle s’éloigna sous l’effet de la colère. Le sourire d’Anya faisait penser à celui du chat de Chester, aussi bien par les cicatrices qui lui donnait le sourire du joker que par la malveillance qu’elle y mettait derrière.
– « Alors c’est juste une histoire de pouvoir ? Ou de reconnaissance ? », demandait toujours aussi calmement Alexis. « Toutes ces pertes humaines car tu voulais être vue, tu jalousais d’autres combattantes. Tu te sens plus grande désormais ? »
– « Toujours plus grande que toi, les deux genoux dans la terre. »
Le manque de remords eut raison de la première larme versée par Alexis. Les assaillantes autour de nous prêtaient désormais grande attention à ce spectacle. Ankara s’éloignait un peu en nous tournant le dos, comme pour rassembler ses esprits avant de repartir sur un autre discours accusateur. J’observais son langage corporel ainsi que sa lueur. Mon âme de guerrière ne semblait pas revenir à la rescousse. Anya revint à la charge. Elle fit glisser la pointe d’une lame sur le front d’Alexis qui ne prêtait aucune attention à la douleur physique, concentrée sur la douleur émotionnelle qu’elle ressentait à cet instant. Le sillon de la lame laissait apparaitre un fin fil rouge qui laissait se former ici et là d’infimes gouttes de sang.
– « J’avoue que je n’y croyais pas trop quand je l’ai vue venir à ma rencontre. Mon premier plan était d’ailleurs de la faire disparaître une fois qu’elle nous aurait aidées à nous introduire dans le camp », dit-elle dans un éclat de rire, comme pour elle- même. Ankara sembla encaisser cette révélation sans trop sourciller. « Elle veut tellement lire la souffrance sur ton visage. La vraie, celle qui brise le cœur. Pas la souffrance physique donnée gratuitement comme je l’ai fait certaines de tes filles. »
Cette remarque avait uniquement pour but de raviver notre hargne, ce qui semblait être un jeu pour elle. Quand elle pouvait en plus se permettre de jouer sur la corde sensible d’Alexis et sur sa notion de justice, elle n’en savourait que plus sa victoire.
– « Sa hargne à ton égard m’a confirmée qu’elle serait un atout sur le long terme. Tu connais la règle : ne faire confiance à personne, même dans son propre clan, mais garder les plus féroces à ses côtés », finit-elle.
Sur ce, sans crier garde, elle abattit de nouveau son poing sur la tempe d’Alexis. Comment osait-elle ? Kenza souffrait autant que moi de voir Alexis être ainsi malmenée. Je regardais avec haine toutes les suivantes d’Anya. L’inquiétude habillait leurs yeux, alors qu’elles semblaient avoir gagné, ce qui en disait long sur l’estime qu’elles portaient à leur chef. Pour la première fois, je notais la présence d’un gabarit plus chétif, dissimulé près des arbres, à une dizaine de mètres de cette alpha. Elle n’était pas en tenue de combat mais semblait avoir assisté à toute la scène, à en voir la tenue couverte de suie et de poussière. En me concentrant un peu, je parvins à percevoir d’elle une faible lueur. Je pensais qu’elle était une voltigeuse, avant de douter de mes conclusions tant ses manquer de ferveur pour Anya. Son regard fuyant balayait le sol frénétiquement. Elle paniquait et scrutait l’environnement à la recherche de quelque chose.
Ankara revint sur ses pas et se planta désormais devant Elena qu’on avait amené entre temps pour être liquidée devant les yeux d’Alexis. Sans un regard pour cette dernière, elle reprit d’un sourire suffisant.
– « Tu sais que c’est Elena qui m’a donné l’idée ? Elle était venue me voir pour servir d’espion, faire semblant de vendre des informations à Anya pour les amener à les piéger sur notre territoire en lui faisant croire qu’elle avait réussi à s’introduire entre nos murs… Tu as vraiment cru que je marcherais dans cette combine alors qu’on ne s’estime même pas ? Tu as vraiment cru que j’étais devenue ton amie, ta sœur ? », se moqua-t-elle à l’intention d’Elena cette fois.
Ces derniers mots semèrent le doute chez Elena qui luttait pour ne pas les croire. Ankara s’approcha d’elle. Machinalement, Elena secoua la tête en signe de dénégation. L’amertume de s’être encore fait berner était peut-être le plus difficile à accepter, vu sa nature.
– « Quoi ? Tu t’attends à ce que je tienne ma promesse ? Que ce ne soit qu’une mascarade montée rapidement pour continuer d’endormir Anya ? Mais pourquoi voulais-tu que je te file un coup de main pour sauvegarder cet ersatz de camp d’amazones qui n’est pas foutu de reconnaitre les vrais bons éléments et continue de nier sa nature ? Pourquoi penses-tu encore que j’aurais accepté cette nouvelle organisation qui vise à protéger des novices sans talents qui n’ont que pour principal atout d’avoir une couleur de lueur différente ? Combien de temps aurait-il fallu que je la boucle et supporte encore cette idiotie ? Que je supporte ces petites connes ? J’ai préféré jouer double jeu. »
L’insulte à peine déguisée nous était clairement destinée mais Kenza et moi nous en moquions. Je continuais d’observer la scène. Je ne discernais toujours pas de variation d’humeurs chez Ankara. Je sentais en revanche cette tempête d’émotions que traversait Elena. Déception, colère, peur, le doute et l’espoir qui essayaient de s’accrocher, puis la déception de nouveau. Elle avait donc vraiment cru avoir trouvé en Ankara la partenaire de crime pour faire tomber Anya. Ankara avait profité de la perte progressive de son don de voyance pour mieux la tromper. En guise de mots d’adieu, elle lui cracha au visage avant de lui envoyer un uppercut entre les côtes flottantes. La carrure plus fragile d’Elena associé à la fatigue du combat fit qu’elle mit un pied à terre, hors de souffle. Ankara revint sur ses pas sans un regard pour ses sœurs. Anya riait hystériquement de ce spectacle. Même si elle en appréciait chaque seconde, sa réaction était plus que disproportionnée face à ce qui venait de se passer. Je sentais le malaise de ses troupes quand elles assistaient à ce genre de débordement émotionnel. Son rire s’éteint doucement avec une moue d’amertume. Elle se retourna en direction des arbres.
– « Ce qui me fait penser que le combat aurait pu se dérouler plus rapidement et sans encombre si l’une d’entre nous avait fait son job. »
L’être chétif se mit à frémir nerveusement. La jeune femme tentait de garder une contenance mais l’instabilité de ses mains trahissait son état.
– « Tu n’avais pas prévu les aménagements qu’elles avaient faits pour nous attendre ? », menaçait Anya, les dents serrées, désormais en face de la pythie. « A moins que tu ne souhaitais pas partager tes dernières visions ? Ou alors tu t’es dit que finie pour finie, tu souhaitais me faire plonger… »
Anya avait vu juste. D’une rotation simple de son buste, elle abattit son coude droit sur le visage de la jeune femme. Sa douleur devait être intense car l’armure d’Anya avait des parties métalliques sur ses coudes et avant-bras. J’en déduisais que la faiblesse de sa lueur ne pouvait être que le signe de ses dons qui s’évanouissaient. Celle d’Elena restait plus forte, ce qui ne pouvait dire qu’une chose : la pythie d’Anya ne devait quasiment plus rien voir. Ses jours étaient comptés. Anya ne lui laissa pas le loisir de répliquer.
– « Cela fait un moment que tu ne nous sers plus à rien. Tu pensais que je n’avais pas perçu ton état ? Heureusement, j’avais assuré nos arrières avec celle qui nous file des illusions et l’autre traitresse pour nous aider à infiltrer ce clan. »
Elle garda un silence pesant pendant quelques secondes. Elle cherchait visiblement le châtiment le plus créatif pour sa nouvelle victime. Son regard croisa celui d’Alexis et une mine de dégoût revint sur son visage.
– « Tout compte fait, je ne vais pas m’abîmer tout de suite les mains à achever une alpha aussi faible… Ne te réjouis pas trop vite », ricana Anya à l’attention de sa pythie. « Tu mourras avant ce soir. Mais si tu veux mériter une mort rapide, tu vas te charger de la torture et de la mise à mort de celle-là ».
Un grognement sortit de nos bouches, à Kenza et moi-même. Les porteuses qui nous maintenaient resserrèrent leur emprise en guise de réprimande, mais la colère qui montait en moi n’en avait que faire. Je savais que le moment venu, j’aurais l’énergie de les challenger. La pythie tremblait mais ce qu’elle avait pu voir de son destin ou plutôt de ces derniers moments semblait lui redonner de la vigueur pour échapper à ce qui l’attendait. Elle tira maladroitement une dague de sa tenue. Elle s’approchait vers Alexis qui la regardait dans les yeux mais semblait éprouver plus de compassion que de peur ou de colère envers son nouveau bourreau. Du Alexis tout craché… Anya se calait sur un arbre, le vice et le machiavélisme collés aux lèvres. J’interrogeai Kenza mentalement. Elle savait que j’attendais le momentum parfait pour intervenir mais visiblement, ce dernier ne se présenterait pas tout de suite. La pythie avançait déjà sa lame en direction de notre alpha. Je n’aurais aucune chance de parvenir à faire ce que je voulais mais nous manquions de temps. Alexis en manquerait. Et tout tournait autour d’Alexis pour nous. D’un parfait accord, je saisis ma chance. En un rien de temps, le voile rouge tomba sur mes yeux. Un grognement roque et menaçant sortit de ma gorge alors que d’une rotation de mes deux bras, je partais sous ceux de mes tortionnaires qui me maintenaient par l’avant-bras, pour placer mes mains sur leurs épaules et d’un coup sec, les désaxer. Comment avaient-elles pu me laisser autant de marge de manœuvre ? Avec mes nouvelles capacités physiques, tout cela m’avait été si facile. Leur manque de jugement s’était laissé avoir par ma carrure. Tout s’enchaîna très vite. Ignorant la douleur à ma cuisse, je sautai sur la lame de la pythie avant qu’elle n’atteigne Alexis. Dans la cohue, une des gardes d’Alexis avança tout en la maintenant et essaya de m’arrêter en me rentrant dedans d’un coup d’épaule. Déséquilibrée, je m’empalais avec horreur le flanc sur la lame que j’avais essayé d’arrêter. L’ironie du sort est que sans le vouloir, cette pythie avait réussi à faire ce qu’elle n’aurait jamais pu faire en combat régulier avec moi : planter cette lame dans un angle parfait pour la faire passer sous mon buste d’acier et mon gilet par balle. Un coup de bol monumental pour elle. Un vrai coup de malchance pour moi. Je n’avais rien ressenti sur le moment mais ce qui suivit par la suite me fit comprendre la gravité de la blessure. Autour de moi, tout s’agitait. J’avais changé la donne. Sous le choc, la pythie, aux yeux exorbités, regarda ses mains pleines de sang. Puis ses yeux se figèrent et dans un sursaut, elle se retourna vers Ankara. Cette dernière ne lui laissa pas plus de temps de réaction et plongea sur elle pour la liquider en lui brisant la nuque. Les gardes d’Anya resserraient la pression sur mes sœurs, pour qu’aucune autre d’entre nous ne retente une folie de ce genre. Anya qui s’était vue dépassée par les évènements, hurlait à pleins poumons.
– « Mais qu’est-ce que c’est que ce merdier ? On devait la garder vivante, cette lueur bâtarde ! »
Je sentais mes forces s’amenuiser rapidement. Ma vue perdait de son acuité mais je vis un éclair d’inquiétude dans le regard d’Ankara, avant qu’elle ne se détourne de moi pour répondre sur le même ton à Anya.
– « Comment as-tu pu laisser cette garce se charger d’Alexis ? Elle a essayé de te faire tuer sur le terrain ! »
– « Boucle-la ! Ne te permets pas ce genre de libertés avec l’alpha que je suis », cracha- t-elle au visage d’Ankara en se plantant devant elle. Ankara ne se démontait pas.
– « Laisse-moi me débarrasser d’Alexis. Après tout, je le mérite. » Anya la dévisageait d’un air circonspect.
– « Ça ne me dit toujours pas ce qu’on fait pour l’hybride. »
– « Vu son état, on ne pourra pas faire grand-chose, autant la laisser se réincarner pour la cueillir plus tard. »
Accompagnant ses paroles de geste, Ankara me balança un coup de pied en plein visage. Ma vision ne risquait pas de s’améliorer. Anya n’était pas totalement convaincue par cet argument mais elle identifiait également la gravité du coup que l’on m’avait porté. La douleur n’était rien quant à la peur de sentir mes premiers membres d’engourdir. Le regain de violence d’Ankara sembla rassurer Anya, qui d’un geste de la tête, lui accorda le privilège demandé. Je maudissais Ankara pour ce qu’elle avait fait, mais son regard d’inquiétude m’avait troublé malgré moi. Mon instinct me disait de faire confiance à ce que je ressentais. Or je ne ressentais toujours pas de duplicité, vice ou haine provenant d’Ankara pour Alexis. Pour éviter tout autre débordement et intervenir rapidement en cas de besoin, Anya se plaça derrière Ankara.
– « C’est avec plaisir que je vais me débarrasser de vous deux », commença Ankara.
Elle dégaina de sa ceinture une sorte de sabre courbé pour en finir. D’une rotation du poignet faite avec l’aisance qu’apporte la dextérité, elle arma ce dernier à hauteur de ses épaules. Elle fit un pas en direction d’Alexis, suivie de près par Anya qui ne pouvait résister à la violence de la scène qui se jouait devant ses yeux. Mes sœurs retinrent leurs souffles, maudirent Ankara ou se figèrent tout simplement en l’attente du coup fatal. Je n’avais qu’une envie, bondir de nouveau pour épargner Alexis mais mon corps ne me suivait plus. J’essayais de contacter Kenza pour qu’elle tente le tout pour le tout mais elle semblait troubler par ce qu’elle voyait. Je sentais juste qu’elle ne voulait ou ne pourrait bouger. Pour la première fois, j’envisageais vraiment que tout était fini. Une larme coulait irrépressiblement sur ma joue. Au moment de détendre le bras en direction de la gorge d’Alexis, Ankara opéra une rotation à deux-cent-soixante-dix degrés. La lame finit sa trajectoire dans la gorge d’Anya. Elle n’avait pas eu le temps de presser sa blessure de ses deux mains, que son corps trébucha sur le sol et continuait de répandre son sang qui coulait à flots. Je n’avais même la force d’émettre un hoquet de surprise pour ce retournement de situation. Ankara n’aurait jamais fait ça. Mon corps s’engourdissait et il était difficile de savoir si c’était bien le froid que je sentais ou tout simplement le manque de sensations qui me laissait un grand vide en moi. Je n’aurais pas eu le temps de connaître Delia. Tant mieux pour elle : elle aura peut-être la chance de se réincarner dans quelqu’un de plus fort. Je ne prêtais pas attention à la cohue qui avait suivi l’attaque d’Ankara. Je n’avais pas noté que Kenza avait profité de cette diversion pour désarmer la guerrière à sa droite et balancer une de ses deux armes dans un coup de pied en direction d’Alexis. Nos porteuses autour de nous suivant le mouvement et reprenant le combat pour retourner la situation était passé inaperçu à mes yeux. Le bruit qu’elles faisaient, les parades d’Alexis pour se débarrasser de ses adversaires et les finir avec l’arme envoyée par Kenza… rien ne me touchait, rien ne m’interpellait. Je me sentais lourde et bien à la fois. Comme si mon esprit et mon corps s’enfonçaient avec force mais sans violence dans un nuage de coton. Je n’avais plus mal. J’étais juste fatiguée. De tout. J’entendis un dernier message de Kenza qui me disait qu’elle s’occupait de protéger Alexis et que je devais tenir, que je ne laisserai pas une hémorragie faire son œuvre, que je pouvais tenir. Je vis à peine de mes yeux mi-clos Kayla en larmes, se jeter sur moi. Elle semblait comprimer de ses mains ma blessure, mais je ne l’entendais plus. Je voulais juste lui dire de ne pas s’inquiéter, que je me sentais bien, que je voulais juste qu’on me laisse dormir. Le voile rouge qui avait habillé mes yeux lors de mon attaque était parti depuis longtemps. Un voile noir opaque avait trouvé sa place mais je ne paniquais pas. Du moins, je n’avais pas ce sentiment avant que je n’entende un hurlement glaçant et abominable résonnant à l’intérieur de moi. Jamais je n’avais entendu autant de douleur dans un cri. Avant de sombrer, je vis une lueur blanche approcher rapidement du champ de bataille. Et merde, l’autre sniper d’Anya arrivait et je ne pouvais les prévenir…
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L’Amazone – Roman Fantasy – Faits et Fiction
C’est quoi une femme guerrière?
Pour éviter de s’épancher sur les définitions sur lesquelles s’accordent ou se déchirent les psychologues, creusons davantage les archives de nos civilisations pour nous faire notre propre définition. Loin des clichés relayés dans certains films ou livres, les femmes guerrières des temps anciens n’abandonnaient pas leur féminité pour devenir un clone de leur homologue masculin guerrier. Certaines d’entre elles étaient des reines, qui lors des affrontements militaires, n’hésitaient pas à rejoindre leurs troupes pour les mener au combat et prendre part à ces derniers. Ces légendaires femmes guerrières appelées Amazones, Valkyries ou encore “servantes du bouclier” (au Danemark) voient leurs mythes et leurs exploits être vantés et perdurer dans les chants, contes et livres d’histoire de notre enfance.
Voici un tour de table des femmes guerrières les plus connues:
– Blenda de Småland (entre 500 et 750 après JC) : elle sauva son pays de l’invasion Danoise en invitant ces derniers à une fête et en les faisant boire (grand classique des génocides de l’époque). La nuit, accompagnée de son armée de femmes, elle tua l’ennemi dans son sommeil.
– Freyja: déesse populaire de la mythologie scandinave. Déesse de la fertilité, de la chance, de la luxure, de la protection et de l’au-delà, elle était invoquée par les vikings pour avoir des enfants forts. Associée à la guerre et aux batailles, Freyja préside le Fólkvangr (« Champ du peuple »). Elle ramasse la moitié des morts sur le champ de bataille, pour monter sa propre armée.
– Brynhild (appelée également Brynhildr, Brunhild, Brunhilde ou Brunhilda), elle est une des valkyries les plus réputées dans les écrits scandinaves. Après avoir soutenu le mauvais héros dans un concours supervisé par Odin, ce dernier en fit une mortelle. Il l’emprisonna dans un château derrière un mur de boucliers, l’endormit dans un cercle de feu, jusqu’à ce qu’un champion vienne à son secours (on ne pardonnait pas facilement les erreurs de jugement à l’époque). Le héros Sigurd la sauva et pour l’épouser, dut se rendre à la cour du roi Gjuki. La femme de ce dernier, une sorcière, voulut que Sigurd épouse sa fille Gudrun et lui donna une potion qui lui fit oublier Brynhild. Ceci arrangeait ses affaires pour plus d’une raison: son fils Gunar avait des vues sur l’ancienne valkyrie. Elle avait fait en sorte que son fils vienne à son secours mais Gunar n’ayant pu passer le cercle de feu (n’est pas héros qui veut), Sigurd prit alors sa forme pour secourir Brynhild. Apprenant le subterfuge, elle jura de se venger de tous. Elle fit tuer Sigurd et son jeune fils dans leur sommeil, puis se jeta dans le feu une fois sa vengeance assouvie. En se rendant au royaume de l’au-delà, Brynhild rencontra une géante qui lui reprocha son comportement. Mais Brynhild n’en avait que faire car elle finit ses jours avec Sigurd comme cela devait se passer initialement.
– Lagertha, qui partit en Norvège pour mettre la main sur le roi de Suède et venger la mort de son grand-père Siward ainsi que l’humiliation subie par ses femmes et descendants. Fes femmes la rejoignirent dans sa quête. L’histoire dit qu’elle parvint à impressionner et émouvoir Ragnar Lodbrok, qui décida d’en faire son épouse… chose qu’elle accepta uniquement lorsqu’il réussit à prouver sa valeur.
– Sigrid la Hautaine, reine de Suède, qui selon les légendes, brûla vif ses prétendants pour décourager les suivants en réalisant que ces derniers en avaient sur son héritage de veuve et son royaume.
– Penthésilée: reine des amazones, elle participe alors à la guerre de Troie où elle assiste Prima et ses proches. Sur le champ de bataille, elle engage le combat contre Achille qui la blesse mortellement en la transperçant de son épée. C’est lors de ce corps à corps qu’Achille croise le regard de Penthésilée et en tombe follement amoureux. Trop tard…
– Orithye (« La femme redoutable dans la montagne ») était, selon la mythologie grecque, la fille de Marpésia, elle-même reine des Amazones. Au décès de sa mère, elle co-régna avec Antiope. Ses techniques de guerre étaient qualifiées d’exceptionnelles.
– Myrina, descendante d’une lignée d’Amazones très anciennes, mena une expédition militaire avec une armée de trente mille femmes en Libye et vainquit les Atlantes, détruisant la ville de Cerné. Elle combattit également les Gorgones, mais sans en venir à bout. Elle agrandit son territoire à force de guerres mais également de traités de paix en laissant la vie sauve aux peuples se rendant dès
– La Reine Boadicée souleva les peuples de l’île de Grande Bretagne contre l’envahisseur romain.
– Jeanne d’Arc mena des armées contre les anglais, assiégea des villes et permit le couronnement du Dauphin. Devenu Charles VII (dit l’ingrat), il se retourna contre Jeanne d’Arc qui fut brûlée vive.
– En 1871, Marie-Antoinette Lix, directrice de poste en Lorraine, dirigea des groupes armés pour ralentir les Prussiens.