Chapitre 12 – L’Amazone – Tome 1
Saveur de la mort (L’Amazone, Chapitre 12)
– « Ça ne va toujours pas mieux ? »
– « Non Kayla ! », s’énerva Gwen. « Ça ne va pas mieux qu’il y a dix minutes, pas mieux qu’il y a une heure, pas mieux qu’hier. »
– « Désolée. »
– « Non c’est moi. Je n’aurais pas dû m’énerver », se ravisa-t-elle. « Je n’aurais pas dû te laisser jeter ce couteau. Ça m’énerve de ne pas comprendre ce qu’il se passe. »
– « Tu n’es pas fautive. Tu as essayé de nous arrêter mais nous n’avons pas voulu t’écouter et avons trahi la promesse faite à Alexis. »
– « Et Ankara ? », s’enquit Gwen.
– « Ça va. Elle en est bien revenue. Ce matin, elle reprenait l’entraînement et les cours. Elle n’a rien évoqué de la soirée d’hier. »
– « Il faut qu’elle m’explique ce qu’elle a vu et ressenti. J’ai vu son regard, ses yeux exorbités. Elise lui a montré ou fait quelque chose. »
– « Pas sûre qu’Ankara l’admette, mais je suis assez d’accord avec toi. Elle était différente. Elle parle déjà de reprendre l’entraînement quand Elise sera sur pieds. »
– « C’est irréaliste. Elle reste complètement inconsciente. Si ça se trouve, on l’a bousillée. Peut-être que la connexion ne devait se faire qu’à ma mort. Peut-être ne peut-elle renaître que lorsque je ne serai plus. »
– « Ne parle pas de ça », grogna Kayla. « D’abord, tu n’as pas encore un pied dans la tombe. Et puis, avec sa lueur bâtarde, on ne sait rien. Elle est peut-être capable de le faire. En parlant de cela, tu la ressens toujours toi aussi ? »
– « Oh oui… mais elle a changé. C’est le chaos dans sa tête. Ses émotions changent comme une girouette. Elle essaie de reprendre le dessus. Quand elle y parvint, on sent qu’elle essaie de se réveiller, mais son corps ne bouge pas et ça repart de plus belle », finit Gwen en prenant la main inanimée à côté d’elle.
– « Il va falloir le dire à Alexis. On va se faire massacrer mais il faudra lui dire un jour. Elle va bien se rendre compte qu’Elise ne vient pas en cours. »
– « Si tu arrives à la tenir éloignée jusque ce soir, on aura peut-être plus de chance, Kayla. Elle part en Suède cette nuit pour rencontrer le clan d’Aaron. »
– « Pourquoi ?», s’inquiéta Kayla.
– « Tu n’es pas au courant ? On a reçu un appel ce matin. Aaron a muté. Ça s’est fait dans la douleur. »
– «Muté?»
– « Sa lueur est désormais une aura, un brouillard… de la même couleur que la lueur de la grenouille. »
– « Comment ? »
Gwen ne lui laissa pas le temps de finir. D’un ton las et dépité, elle reprit.
– « Je n’en sais rien, je ne comprends rien au phénomène. Je ne savais pas qu’un être comme nos gardiens pouvait muter et je ne connais pas l’élément déclencheur. »
– « Pardon. »
– « Pas grave… En plus de cela, la séparation est plus dure à supporter que prévue. Il est affaibli. Son clan s’inquiète sérieusement. »
– « Mais il est trop tôt », s’entêta Kayla. « En plus, je lui envoie comme promis des photos, des vidéos, des affaires lui appartenant pour combler le vide. Je passe mon temps à lui parler d’elle par téléphone ou email pour qu’il ne rate rien. Il la connait presque autant que nous. »
– « Je sais le boulot que cela représente pour toi », sourit tristement Gwen. « Mais il semblerait que cela ne soit pas assez… Il se meurt à petit feu. » Kayla grognait.
– « Alexis va le ramener ? »
– « Elle ne sait pas encore. Elle part constater le phénomène avec Elena. Elles reviendront trois jours plus tard. »
– « Bon j’emmène Kenza se promener un peu. Nous n’assisterons pas aux cours mais il faut qu’elle se remette à sortir un peu et voir du monde. Elle ne veut plus rester isolée et dit qu’elle va mieux. »
– « Ok. Mais fais attention de ne pas trop lui parler et de peu la toucher. Elle est encore fragile… A votre retour, j’ai envie d’essayer quelque chose pour réveiller la grenouille. »
Kayla secoua la tête péniblement. Elle ne craignait pas la colère d’Alexis mais davantage la possibilité de nous avoir brisées.
De mon côté, cela faisait belle lurette que je ne les entendais plus. C’était d’ailleurs très calme depuis les tourments qui avaient précédé mon entrée dans le monde de la catatonie. Je voyais des flashs de mon enfance, de ces derniers jours … et des scènes que je n’arrivais pas à re-situer tant elles m’étaient inconnues. Mon esprit démentait les avoir vécues mais les sensations étaient si réelles… toutes étaient des scènes de combats auxquels je me voyais participer. Fureur, guerres, cris, sang et toujours cette odeur de la mort qui me nappait comme dans un brouillard et persistait d’un souvenir à l’autre. Elle ne me quittait jamais à l’évocation de ces réminiscences de batailles. Je pouvais quasiment la sentir physiquement. Puis mon esprit m’envoyait des flashs des derniers moments où j’étais encore consciente. Ma promesse, mon entêtement à maintenir cet état instable, ma lutte intérieure. « Je n’avais pas fait tout cela pour rien. » Cette idée me revenait en tête même si je ne saisissais pas encore la portée de ce message. Je me concentrais pour faire l’état des lieux de mon corps et mon esprit. J’essayais de sentir mon âme de guerrière. Elle ne pouvait pas avoir disparu puisqu’elle m’envoyait des souvenirs de ses vies antérieures. Elle ne cherchait pas à fuir. Comme si elle avait compris qu’elle ne pourrait me posséder entièrement et qu’elle devait faire corps commun avec mon esprit. Ou alors était-ce le deal depuis le début ? Je n’en savais rien. Je me focalisais sur ces souvenirs qu’elle m’offrait en cadeau pour sceller cette nouvelle paix, pour apprendre à la connaître. Je devais coudre son âme à la mienne, telle une pièce ajoutée à un jean pour le renforcer. Mon âme de guerrière soutiendrait mon esprit qui devait continuer à dominer. J’accueillais donc cette nouvelle âme. J’acceptais de voir toutes les images qu’elle me donnait tout en gardant le contrôle. Elle me racontait son histoire et je n’avais pas d’autre choix que d’accepter de la connaître pour que la fusion commence. Le plus dur était de ressentir cette souffrance qui était le fil rouge de ces flashs. Ça et les morts… mes morts. Visiblement, j’avais vécu plusieurs fois et je n’avais pas fait de vieux os dans chacune de ces vies. « C’est vraiment l’histoire de ma vie », me dis-je sur le moment. « Je récupère l’âme de la guerrière qui a dû se faire le plus trucider dans toute l’histoire des guerrières. » Génial. J’apprenais à m’ouvrir vraiment à ces images, si dures et violentes soient-elles. Je devais écouter ce que cette âme avait à me dire. Écouter son histoire pour l’apprécier et accepter ou non cette alliance. Je tentais d’enregistrer ces images dans ma mémoire quand une première douleur me transperça les reins. J’avais envie d’hurler mais rien ne sortait. A peine un frémissement de ma peau aurait pu trahir mon état de veille. État pendant lequel mon corps servait encore de champ de bataille. Elle me montrait les images pour me préparer à connaitre la douleur de ces morts. Les cris entendus dans ma tête lors de la première connexion repartirent de plus belle. La douleur s’intensifiait dans le creux de mes reins. Les images de combat défilaient, pour me projeter sur d’autres champs de batailles, d’autres guerres, d’autres époques. Dans ces visions, je vis une lame d’acier glisser sous mon cou pour ressortir à l’autre extrémité un quart de seconde plus tard, recouverte de pourpre. A ce moment précis, je ressentis une brûlure insoutenable au niveau de ma gorge. J’avais l’impression d’étouffer, la chair de la nuque à vif. Horrible et effrayant, il n’y avait pas d’autres mots pour décrire cette sensation.
Mon corps ne m’obéissait plus mais me faisait subir les traumatismes que d’autres lui avaient fait subir. Je rejetais en masse ces images en espérant repousser la douleur qui les accompagnait, mais l’âme ne souhaitait pas en rester là. Elle voulait que j’accepte son histoire. Elle restait bloquée sur chaque image que je repoussais pour les souffrances qu’elle m’affligeait. Elle ne me laissait pas le choix. Je ne pouvais pas me réveiller ni laisser cette fusion en plan, même si je l’avais voulu. Ironie du sort. Je devais continuer, pas seulement parce qu’on me l’imposait mais aussi pour Gab, Kenza et les autres. J’abandonnais mes dernières réticences, laissant libre cours au martyr subi par cette âme de guerrière. Brûlures, lapidation, immolation, torture, on ne m’avait pas épargné. Chaque lame qui m’avait transpercée, égorgée, découpée, tranchée … je l’avais ressentie. Chaque pierre ou objet contendant qui m’avait blessée ou tuée, je l’avais enduré. La douleur s’invitait sans prévenir dans mon corps et envahissait jusqu’à mes entrailles. Et à chaque fois, cette sensation innommable de sentir sa vie couler entre ses doigts. Toutes ces petites morts, ces massacres, ces visages belliqueux ou peinés au contraire et qui se penchaient sur moi avant que je ne perde conscience pour me réveiller dans un autre corps. Je traversais les époques à travers ces souvenirs, alors que mon corps continuait d’être tourmenté par ces vies arrachées dans une cacophonie à rendre fou. J’étais à bout, prisonnière des images qu’on m’envoyait. Mon corps ne m’appartenait plus. C’était juste un réceptacle. Le rythme de ces renaissances semblait enfin se calmer. Mon calvaire arrivait-il vers la fin ? Combien de temps s’était écoulé depuis le début de notre fusion ? Mon organisme me donnait l’impression d’être déchiré, en fin de vie. Mon esprit commençait à lui faire écho quand une vague de froid vif partit de mes poumons. Ce n’était ni douloureux, ni agréable. Juste différent des douleurs et brûlures infligées par l’âme ancestrale. Ce froid se propageait vers mes membres inférieurs et supérieurs. Les hurlements infernaux régnant dans ma tête reculaient à l’approche de cette sensation. Était-ce le froid du terrain d’entraînement ? Étais-je encore dehors ? Ou était-ce un signe que j’avais échoué ? Peut- être n’étais-je pas assez forte. L’âme avait fini par renoncer et me laisser mourir plutôt que de ne faire qu’un avec moi. Pour la première fois depuis cet entraînement avec Ankara, je craignais vraiment pour ma vie. Je recherchais le moindre indice autour de moi qui me préciserait ma destinée. Je voulais vivre.
J’entendais la respiration de quelqu’un près de moi. La personne s’éloignait d’un pas rapide. « Non, ne pars pas ! Je t’en prie, reste ! Aide-moi ! Je suis encore consciente. Je peux encore m’en sortir. Je t’en prie… »
Renaissance … ou mon nouveau moi (L’Amazone, Chapitre 12)
Le désespoir m’envahissait au fur et à mesure que ses pas s’éloignaient. Elle ne pouvait pas m’entendre. Ces cris ne résonnaient que dans ma tête, pauvre pantin désarticulé que j’étais… Je l’entendis fermer une porte. Elle avait fermé une porte, je n’étais donc plus dehors. On prenait soin de moi. L’espoir me revint. On ne serait plus à mes côtés si j’étais en train de mourir, ou du moins il y aurait plus d’agitation que ce silence pesant. Si je n’étais pas dehors, c’est que le froid qui gagnait du terrain en moi était peut-être la fin de mon calvaire. D’ailleurs la cacophonie dans ma tête était en sourdine. Je me concentrais sur la dernière ligne droite. Je n’avais plus de voile rouge devant mes yeux mais j’arrivais à percevoir mon environnement alors que mes yeux étaient clos. Le froid avait envahi tout mon corps, comme si l’âme le recouvrait pour le protéger. Me protéger. Elle formait une carapace autour de mon cœur et mon esprit. Elle m’avait acceptée. J’exultais. Je n’avais pas fait tout cela pour rien ! Je me recentrais sur mon environnement. L’odeur m’indiquait que j’étais chez moi. Le toucher des couvertures et les bruits me confirmèrent que j’étais dans ma chambre. Je ne le voyais pas mais je le savais. Prodigieux. C’était tout simplement … incroyable. J’entendais deux petits rythmes cardiaques battre près de ma chambre. Les yeux toujours clos, je pouvais néanmoins assurer qu’il s’agissait de mes chats. J’entendais beaucoup mieux. Même alitée, j’étais en alerte. J’entendais tout, je percevais tout à travers les murs de cette maison. Les battements de cœur, les lueurs qui ne pouvaient être que celles de mes sœurs d’armes. Alors c’était cela « sentir la lueur » de quelqu’un. Je m’émerveillais devant cette découverte. Chaque lueur était différente, certaines brûlaient plus fort que d’autres. L’âme finissait cette union avec mon esprit. Je percevais sa force qu’elle m’offrait, son acuité, son agressivité au combat mais également sa bienveillance… envers moi et celles de mon clan. Une joie trépidante cognait dans mes veines et ce n’était pas la mienne. Elle me parlait, elle partageait sa joie d’être de nouveau appelée sur terre… j’étais sidérée par la beauté et la simplicité de ce lien entre elle et moi. Toutes ces lueurs qu’elle me laissait percevoir dans mon environnement étaient présentées avec précaution comme pour m’avertir qu’elles ne me voulaient aucun mal. Elle me laissait le temps de les identifier et les reconnaître. Mais pour l’instant, cela n’était pas très utile car je ne pouvais pas mettre un visage sur ces dernières. Celle présente dans la maison venait d’ailleurs de quitter précipitamment les lieux. En ce moment de découverte et d’extase, une partie de moi-même souhaitait qu’il ne s’agisse pas d’un danger immédiat, car je n’étais pas encore suffisamment éveillée pour me défendre. Je sentais les extrémités de mon corps se réveiller mais je n’avais pas encore ouvert les yeux.
Après m’avoir révélé une centaine de lueurs présentes dans les environs, ma nouvelle âme me réchauffa avant de me permettre d’ouvrir les yeux. J’étais effectivement dans ma chambre. En refermant les yeux, elle me re-dessina mentalement mon environnement. Je comprenais désormais à quel point j’avais été vulnérable avec des ennemies aussi douées à mes trousses. Il n’y avait pas que ce nouveau mode de vision ou cet « outil » de détection des lueurs dans les environs. Ma force me surprenait. Je n’avais pas encore la confirmation que j’avais muté. Le doute persistait car Gwen était toujours en vie et pourtant je sentais une vitalité couler dans mes veines comme je n’en avais encore jamais ressentie. Une véritable promesse à la barbarie si je me laissais aller à perdre le contrôle. Je décidai de quitter cette pièce pour aller à la rencontre de mes sœurs qui devaient avoir les foies en ce moment. Je me sentais un peu contrariée à l’idée qu’elles m’aient laissé seule dans cet état. Je tournai délicatement la poignée de ma porte, de peur de la casser avec mes nouveaux dons. Je me dirigeai vers le porche. Les chats qui me suivaient jusqu’ici s’arrêtèrent au pas de la porte en sentant la légère brise glaciale à l’extérieur. Je ne ressentais pas ce froid. Deux ou trois passants vaquaient en me dévisageant au passage. Des civiles visiblement. Je ne détectais aucune lueur émanant d’eux. Encore perdue dans mes contemplations de mon nouveau moi intérieur, j’errais sur la route. Instinctivement, je me dirigeais vers la maison de Kayla. Sept lueurs quasiment toutes différentes les unes des autres, s’approchaient de moi.
Même en leur tournant le dos, j’arrivais à les percevoir. C’était tellement improbable à mes yeux. Je guettais la moindre alerte de mon corps afin de savoir s’il s’agissait d’une rencontre amicale. Il y avait peu de chance qu’un ennemi se trouve dans le camp mais je demandais comment allaient réagir mon corps et mes instincts.
– « Elise … Elise… ne bouge pas. C’est moi, Alexis. »
Je fermai les yeux, pour l’expérience, en me tournant lentement vers la voix. Je pouvais différencier désormais les lueurs des porteuses et des voltigeuses, ou même encore de mon alpha. J’identifiais également une lueur froide et brumeuse… ma petite Kenza sûrement. Je souriais. Je pouvais presque les identifier une par une.
– « Nous sommes désolées, Alexis », bredouillait Gwen. « Quand j’ai senti son cœur s’emballait, je suis venue tout de suite vous chercher. Mais on ne voulait pas lui faire de mal ou en arriver là, je te jure. »
– « Tais-toi », grogna l’alpha. « Ça fait deux mises en danger de trop cette semaine. Si je la perds, je … je vous jure que… »
Elle ne trouvait plus ses mots, sous l’excès de rage imminent.
– « Tu crois qu’elle peut encore y rester ? », s’inquiéta Kayla.
– « Bien sûr qu’elle le peut », hurla Belen sur les deux autres. « Elles sont trop jeunes. Vous auriez dû l’arrêter quand elle persistait. »
Je ne suivais pas cet échange. J’écoutais les rythmes cardiaques de chacune. J’étais perturbée par leurs peurs et leur colère mais complétement hypnotisée par cette découverte.
Alexis s’approchait de moi doucement. La vingtaine de mètres nous séparant ressemblaient à un parcours du combattant pour elle. Qu’allait-elle trouver ? Kenza la rejoignait prudemment, aussi bien pour me retrouver que pour protéger l’alpha, au cas où ma bestialité avait pris le dessus.
– « Elise, je t’en prie. Dis-moi quelque chose », suppliait doucement Alexis.
Soudain consciente qu’on attendait un signe de ma part, je pris le parti de leur expliquer ce qu’elles avaient manqué tout ce temps et ceci de la façon la plus éloquente qu’il soit. J’étais tellement fière et soulagée de cette connexion, de savoir que je serai désormais à même de défendre mon frère, Alexis et Kenza … et même ma propre personne.
– « Elise ? », s’impatientait Kayla de ne pas voir de réaction de ma part.
Je levai doucement mon visage, ouvris les yeux et rassemblai tout ce que j’avais dans mes tripes pour émettre de toutes mes forces un grognement qui leur montrerait mon nouveau moi.
Toutes me regardaient interdites, sur leurs appuis, prêtes à me rentrer dedans au moindre signe annonçant une perte de contrôle. C’est alors que je leur souris de bon cœur, une larme de fierté brillant dans mes yeux. Je l’avais fait ! Tellement soulagée d’avoir répondu à leurs attentes et surmonté cette étape douloureuse. Alexis prit ses tempes entre ses deux paumes et se mit à sangloter de soulagement. Aucune de ses protégées ne mourrait aujourd’hui. Le visage de Kenza se décomposa. Elle tentait de me sourire tout en retenant des larmes. Belen, Kayla, Gwen et Megan se permirent de souffler pour relâcher la tension de ces dernières heures.
– « J’y suis arrivée. Je vous l’avais dit ! »
– « Gwen, préviens le clan du Nord que nous repoussons notre voyage de quelques jours ou semaines. Ils comprendront », indiqua Alexis.
Renaître en demi-teinte (L’Amazone, Chapitre 12)
En entrant dans la salle de Conseil, cette dernière me parut plus lumineuse que lors de la première cérémonie. Ou était-ce encore un effet visuel auquel je ne m’étais pas encore habituée ? Je m’étais laissée distraire tout au long du chemin, répondant du bout des lèvres aux questions de Gwen, Kayla et Megan.
Alexis avait encore du mal à leur pardonner et passer outre l’incident, mais elle souhaitait avant tout m’emmener dans un endroit calme où nous pourrions évoquer ce sujet. Après-tout, on ne savait toujours pas ce que j’étais devenue. J’avais eu le temps de leur expliquer dans les grandes lignes comment j’avais réussi cette connexion. Chacune y allait de ses suppositions avant de repartir sur une pluie de nouvelles questions. Elles n’arrêtaient leurs questions que le temps de prendre des notes. Kenza était la seule à rester physiquement proche de moi. Je me souvins tout à coup que je ne l’avais pas vu se réveiller.
– « Quand vas-tu ? Tu n’es pas trop fatiguée ? Tu aurais dû rester au lit pour te reposer encore un peu… »
Elle souriait tristement face à mon inquiétude. Elle me répondit par un haussement d’épaule pour me confirmer que ça allait et qu’elle pouvait rester avec nous encore un moment. Elle me fixait avec anxiété, sûrement pour s’assurer qu’il subsistait des traces de mon humanité et de l’ancienne Elise.
– « C’est moi. Je me souviens de tout », répondis-je à ses questions silencieuses. « Tu y passeras aussi mais à ton rythme. Ne force rien. C’est super douloureux, crois-moi. »
Elle me sourit mélancoliquement quand un semblant de joie ralluma son regard.
– « Tu brûles froid … mais je ne t’entends ni ne te vois. C’est bien. »
– « Je ne comprends toujours rien à ce que tu me dis, mais si tu souris, alors ça me va. »
Elle rit de bon cœur. De lourdes cernes de fatigue se dessinaient encore sous ses yeux. Alexis reprit la parole tout en nous versant des rafraîchissements.
– « Désolée de me montrer aussi étouffante, mais je tiens à m’assurer que tout va bien avant de me rendre en Suède avec Elena et les autres. Nous devrions d’ailleurs annuler », dit-elle pensive, pour elle-même.
– « Non, ne change pas tes plans pour moi. Tout va bien. J’ai voulu forcer la connexion et j’y suis arrivée. Comme tu le vois, je suis stable. Même si tu m’as isolée pour t’en assurer, car – non, je ne suis pas dupe, je sais pourquoi nous restons dans la salle de Conseil- tu peux voir que je reste la même. Je ne suis pas plus agressive. »
– « Et puis nous pouvons la monitorer de près », commença Gwen.
– « Comme tu l’as si bien fait avant de venir me trouver en panique il y a vingt minutes pour m’annoncer ce qu’il s’était passé et qu’elle était peut-être en train de mourir ? Non, je reste », coupa Alexis en laissant libre cours à sa colère.
Elle ne voulait plus que l’on contrecarre ses plans ou son agenda.
– « Si tu dois être en colère, c’est contre moi », intervins-je. « J’ai joué de leur culpabilité envers Kenza et de l’approche du combat à venir pour les forcer à m’aider. Maintenant, je suis comme vous. Je vais pouvoir me battre à armes égales et vous aider. »
Un silence gêné s’installa alors qu’elles ne faisaient que piailler depuis ma révélation dans la rue.
– « Quoi ? »
– « Tu viens juste de basculer, rien n’est stable pour le moment. Ça peut encore changer, il ne faut pas s’en inquiéter pour le moment ».
Belen tentait de m’endormir avec son discours mielleux de réassurance. Mais la panique prit le dessus.
– « Je n’ai pas muté ? Mais ce n’est pas possible. Les douleurs, cette force et … et ma nouvelle vision décuplée … »
– « Chut. Calme-toi. C’est pour cela que nous t’avons isolée. Nous voulions en parler », dit Alexis en posant sa main sur la mienne. Megan s’approcha doucement de moi pour m’expliquer.
– « C’est indéniable qu’il s’est passé quelque chose en toi. Ta force s’est intensifiée. Tu t’es connectée visiblement avec l’âme de ta guerrière mais il y a des dissonances par rapport à notre mutation habituelle. Tu n’aurais pas dû être capable de te connecter avec cette dernière avant la mort de Gwen. Désolée, Gwen », s’excusa-t-elle en se tournant vers l’intéressée. « Ta lueur est toujours perceptible. Elle s’est même accentuée mais elle diffère toujours de la mienne ou de celle d’une voltigeuse. Nos lueurs sont jaunes et brûlent comme des flammes. La tienne est toujours blanche. Tu brûles comme le froid de la glace et ta lueur ne prend pas la forme d’une flamme. Elle est dense comme un brouillard, une aura. Nous sentons la puissance qui émane de toi mais nous n’avons pas la même nature. Visiblement, un lien existe puisque tu sembles sentir nos lueurs comme nous sentons la tienne. Nous devons communiquer sur le même canal, mais cela semble s’arrêter là. »
Je digérais tant bien que mal ses paroles, qui m’anéantissaient à chaque seconde qui passait. Devant mon mutisme, Megan reprit.
– « Pour Gwen et moi, tu n’as pas fini de muter. Tu n’as pas encore atteint toutes tes capacités et tu peux encore gagner en force. La bonne nouvelle est que tu seras plus utile sur le terrain et que tu peux être encore plus incroyable une fois que tu auras fini cette transition. Nous ne connaissons pas encore ta force depuis cette connexion mais elle nous semble déjà impressionnante. La mauvaise nouvelle est que nous n’en savons pas plus sur ce que tu es car aucune d’entre nous dans toute l’histoire n’a été capable de forcer la Destinée à réveiller notre guerrière avant l’heure décidée. Nous sommes heureuses que tu sois toujours parmi nous et de ce qu’il t’est arrivé, surtout si tu l’es de ton côté. Mais pour le moment, on ne sait toujours pas ce que tu es. »
J’enregistrais ces informations. Si je n’avais pas basculé sur ma nouvelle nature, comment expliquer ce que j’avais fait et ce que j’étais devenue. Et qu’avais-je donc vécu alors pendant que je pensais discuter avec mon âme de guerrière ?
– « Hé, la grenouille ! », m’interpella Kayla, consciente de mon désarroi. « Ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas fières de toi, de ce que tu as fait. On continue de te faire confiance. Pour nous, tu restes l’une de nos sœurs. Et pour ma part, tu ES une amazone. Sinon, la Destinée ne nous aurait pas envoyé ton signalement pour qu’on aille te chercher. Vous restez, Kenza et toi, nos sœurs d’armes. »
Les autres acquiesçaient. Alexis reprit plus posément.
– « Vous avez toutes raison. La Destinée ne nous aurait pas conduites à vous si vous n’étiez pas des amazones. Après tout, tu as vraiment discuté avec ton âme de guerrière et elle t’a acceptée, d’après ce que tu nous as raconté en chemin. Mais votre mode de fonctionnement est différent du nôtre. C’est pour cela que vous resterez en observation. Pas de folie les jours prochains. On reprend notre routine des cours et entraînements. Nous en reparlerons le moment venu. »
Chacune était pensive pour diverses raisons mais le débat était clos.
La famille (L’Amazone, Chapitre 12)
– « Mais tu es sûre que cela ne dérangera pas ton amie que l’on dorme chez vous ? », me demanda Patrick.
– « Non, rassure-toi. On a une chambre d’ami, c’est fait pour cela. Et Kenza est adorable. Je ne l’imagine pas m’incriminer pour cela. Elle a d’ailleurs tenu à vous cuisiner un plat de chez elle pour vous souhaiter la bienvenue. » La grimace de Patrick me rappela à quel point il était difficile de le contenter culinairement. Il partait avec tellement d’a priori, qu’il refusait toute nouveauté, jusqu’à ce qu’il cède, apprécie le met proposé et qu’il ne se nourrisse plus que de cela les semaines qui suivent. Un grand classique de mon père ! Gab et lui nous avaient rejointes depuis quelques heures et pour l’instant tout se passait au mieux. Pas de bévues ou de questions gênantes. Ils étaient trop occupés à m’ausculter sous les moindres détails depuis nos retrouvailles pour s’assurer que j’allais bien, tant physiquement que mentalement. Gab s’était montré très enthousiaste de revoir Kayla. En prévision de ce voyage, il avait même fait l’effort d’améliorer son anglais pour tenir des conversations basiques. Après avoir salué brièvement Kayla et Kenza, Patrick se focalisait sur ce nouvel environnement : cette magnifique maison, cette voiture neuve… Très vite, la question tant attendue tomba comme un couperet.
– « Cette société te paie tout ça pour te former en plus sur un nouveau métier. Ce n’est pas un peu excessif ? »
– « Serais-tu en train de dire que je ne le mérite pas ? », le taquinai-je en tentant de dévier le sujet. A peine avait-il noté en descendant de l’avion ma métamorphose physique. En revanche, l’estimation d’une maison ou d’une voiture savait attirer son attention ! Soit je l’avais assez préparé au téléphone pour qu’il ne fût pas choqué en me voyant, soit mon évolution physique n’était pas aussi impressionnante que je le pensais. Il n’avait pas non plus remis en question la crédibilité d’une société de jeux pour consoles dans le Grand Nord Canadien, quand la plupart des sociétés de ce type sont dans la Silicon Valley. A ce stade de mes réflexions, je comprenais qu’inconsciemment il ne voulait pas se poser réellement les bonnes questions. En constatant que j’étais en forme et heureuse (et que je ne faisais pas partie d’une secte), il préférait peut-être passer sur certains aspects de ma nouvelle vie.
– « Non, je ne dis pas ça. Je ne sais pas vraiment ce que tu fais d’ailleurs. Même quand tu étais sur Paris, je ne savais pas vraiment ce que tu faisais comme boulot… Je m’étonne juste des moyens donnés. »
– « C’est justement pour ce cadre de vie et la chance donnée que j’ai accepté de partir loin de vous. » Il se contenta de cette réponse mais restait pensif. Gab arriva, accompagné de Kayla. Tous deux étaient en grande conversation, non sans difficultés du côté de mon frère.
– « Kayla me dit que je peux servir de testeur pour les quelques jeux sur lesquels vous travaillez ? », s’enthousiasmait-il.
– « Des jeux à tester… »
Je butai sur cette phrase. L’inquiétude commençait à me nouer la gorge. Involontairement, mes instincts se mettaient en éveil. La guerrière en moi interprétait mal ce malaise et l’associait à une menace. Je sentais que mon corps allait me trahir. Les filles s’en aperçurent. Je repris immédiatement le dessus pour calmer mon âme de guerrière.
– « Oui », intervint Kayla. « Les trois jeux qui doivent sortir pour la fin du trimestre. Hé ho, Elise ! La Terre appelle Elise ! », osa-t-elle me narguer. « Depuis que ta famille est revenue, tu en oublies presque ton job. »
Gabriel ayant compris une partie de la boutade, sourit. Kayla faisait désormais attention à ce qu’elle disait devant eux. Kenza prit la suite, au vu de mon embarras. Elle semblait de plus en plus à l’aise en présence de ma famille, tout en gardant ses distances. Depuis cette fameuse nuit de black-out, elle ne touchait quasiment plus personne… Elle leur parlait en français depuis leur arrivée, ce qui rassura Patrick qui n’était vraiment pas à l’aise avec l’anglais.
– « Si tu veux bien, Gab, je voudrais ton avis sur des jeux de rôle et de guerre. Je te ferai visiter cette semaine nos bureaux où l’on crée les personnages et te montrerai les logiciels d’animation que l’on utilise. »
– « Tu es sérieuse ? », s’emballa Gab.
Cette conversation en français sur les jeux n’enchanta pas plus Patrick qui n’était pas assez calé sur le sujet pour se permettre d’y participer ou encore de comprendre ce qui était si exaltant sur le moment. Kenza, d’humeur chaleureuse et taquine, renchérit.
– « Oui, j’ai bougé de bureau. Je suis désormais avec Megan, que tu rencontreras sûrement lors de ton séjour. Tu verras, Gabriel, ça va te plaire. Je m’arrangerai pour que tu repartes chez toi avec des démos et autres jeux dont nous avons l’exclusivité avant leur sortie officielle. »
Gab était aux anges. Je ne savais pas à quel point les filles s’étaient mises en quatre pour créer cette illusion. Cela me touchait. Elle continuait de lui envoyer du rêve pour ce court séjour, et par la même occasion de m’instruire sur la liste des activités que « je » leur avais préparées.
– « Je sais qu’Elise a prévu de vous montrer quelques endroits sympas en ville, de faire des virées en motoneige et un tour en hélico, mais si tu as un peu de temps libre, j’aimerais bien que tu nous fasses une critique sérieuse de ces jeux. »
Mon frère accepta avec plaisir. Je compris par la suite que cette manœuvre avait pour but de le cadrer et d’éviter qu’il ne mette son nez partout ou découvre des failles dans notre mascarade. Patrick portait son attention sur les chats qui l’avaient reconnu. Étonné de faire autant d’activités lors de son séjour, il remercia mes amies. D’un regard, je fis de même envers mes sœurs. Elles avaient vraiment tout fait pour faciliter les choses. Je pourrais peut- être voir un peu plus souvent Gab et Patrick si cette semaine de visite se passait bien.
– « N’oubliez pas au passage que vous êtes venus pour passer du temps avec moi et vous assurer de vos propres yeux que tout se passe bien ici », râlai-je auprès de ma famille.
– « Oui c’est bon, on t’a vue et entendue. »
Gab accompagna sa réplique, qui se voulait humoristique, d’un faux roulement des yeux.
En milieu de semaine, je trouvais le temps d’aller remercier Alexis. Tout se passait comme prévu. Le froid extérieur n’incitait guère Patrick et Gab à se promener et le fait de les emmener toujours en voiture me permettait d’éviter les points stratégiques de la ville que nous aurions du mal à expliquer. Allez justifier une serre tropicale dans un campus de société de jeux électroniques… J’avais arrêté mon entraînement le temps de leur visite. Levée aux aurores, j’entamais tout de même un jogging matinal en prenant soin de ne pas les réveiller. Mon corps me réclamait de l’exercice. Depuis ma mutation, je n’avais plus besoin d’autant d’heures de sommeil pour récupérer, qu’importent les efforts physiques de la journée. Contrôler ma nourriture à table était cependant un défi quotidien. Il en allait de même pour Kenza, qui pouvait se rattraper à la cantine lorsqu’elle suivait les entraînements quotidiens. Nous nous levions la nuit pour dévorer en silence.
Patrick et Gab ne voyaient pas le temps passer et se réjouissaient de leur séjour. Patrick faisait même quelques efforts pour parler anglais avec Kayla. Kenza, quant à elle, était d’une patience d’ange, comme toujours. Elle ne se fatiguait jamais de la présence de ces invités un peu spéciaux. Elle était presque détendue de retrouver un peu de normalité que nous avions dans nos vies d’avant.
Arrivée au Conseil et après un échange de formalités avec Alexis, je la remerciai encore une fois pour ses largesses. Elle manifestait de la gêne à chaque fois que Kenza et moi la remerciions, mais nous ne pouvions envisager de ne pas le faire. Les questions qui suivirent se concentrèrent sur ma mutation incomplète et la façon dont je contrôlais ces nouveaux instincts plus vifs que les précédents. Le fait que je continuais à les maîtriser sans trop de difficultés la laissait perplexe. Est-ce parce que je n’avais pas vraiment muté ? Ou alors ma lueur était plus complexe et avait la particularité de s’élever sur mes instincts primitifs ? Je saisis l’occasion pour partager tout ce que j’avais pu noter intérieurement et qui potentiellement pourrait aider Gwen à comprendre qui j’étais ou le fonctionnement de ce nouveau moi.
– « Pourras-tu également dire aux filles que mon âme de guerrière arrivait à identifier Gab et Patrick ? Je sais que cela peut paraître bizarre, mais je sens qu’elle se réjouit de les croiser, comme si elle avait compris l’importance qu’ils ont pour moi, son hôte. Je les distingue parfaitement, même lorsqu’ils sont dans une autre pièce. Et elle les surveille même… je ne saurais comment te l’expliquer. Pas vraiment comme on espionne une personne, mais plus avec un regard bienveillant, pour s’assurer que tout va bien de leur côté. »
– « Bizarre, en effet. Tu n’es censée être une euménide que pour celles de ta race. C’est effectivement intéressant. Gwen appréciera cette anecdote. » Après tout, si cela pouvait faire avancer les choses.
La vision qui dérange (L’Amazone, Chapitre 12)
Le dernier dîner avant leur départ, l’ambiance était à la fête. Définitivement rassurés par ma nouvelle vie, Gabriel et Patrick parlaient déjà de leur retour cet été avec Marianne.
– « Il faudra que vous nous préveniez à l’avance pour que l’on vous organise plein d’autres activités », cadra habilement Alexis, ma responsable de service. « Je suis certaine que vous n’avez pas vu le quart des endroits pittoresques du coin. »
Gab, qui avait fait énormément de progrès en se forçant à parler anglais ces six derniers jours parvenait à comprendre et répondre par des phrases simples. Il avait toujours eu des notes moyennes à l’école dans cette matière car il ne faisait juste aucun effort pour se lancer à l’oral. Ce séjour aura eu le mérite de le décoincer.
– « J’ai adoré la balade en hélico. Je ne sais pas ce qui pourrait surpasser cela. »
– « Oh il y a encore plein d’endroits sympas », surenchérissait Kenza, rayonnante. « En sachant vos dates de retour, nous pourrons organiser des balades en traineau de chiens, si l’on va plus vers l’ouest. »
Je me surprenais à ne pas connaître ces infos qu’elle semblait maitriser. Où avait-elle appris ce genre de détails ? S’était-elle renseignée pour sa couverture ?
– « … et puis, le sachant, nous poserons des jours de congé pour vous accompagner. Enfin, si nous ne sommes pas encore dans une phase de tests où la société ferme ses portes pour éviter les fuites concernant les nouveaux jeux. »
A comprendre ici : si le combat venait à éclater avant leur séjour. Je pris soin de ne pas me laisser miner par cette idée. Mon père, à qui je traduisais les échanges, insista pour me faire traduire qu’il ne voulait pas les déranger, au vu de toutes les gentillesses dont elles avaient fait preuve pendant leur séjour. Il attendrait que je lui donne les dates qui leurs conviennent le mieux pour qu’ils prennent les billets d’avion. L’amener à réguler ses visites, c’était très habile de leur part… Il était tellement impressionné par les moyens mis à ma disposition qu’il ne tarissait pas d’éloges sur cette société factice dont il ne retenait même pas le nom. Il me morigéna même deux ou trois fois pendant son séjour pour me rappeler d’être sérieuse au travail pour ne pas les décevoir. Comme si mon professionnalisme avait pu être remis un jour en question, que ce soit sur Paris ou ici. Et puis ça ne servait à rien de se fâcher : nous parlions d’un travail qui n’existait pas et donc d’une éthique professionnelle imaginaire.
Leur présence m’avait fait un bien fou, même si mon sang bouillonnait de ne pouvoir se défouler physiquement. Cela inquiétait Alexis et les autres. Je pensais alors à Kenza qui n’aurait peut-être jamais la chance de revoir sa grand-mère, qui ne pouvait pas voyager. Je comprenais alors cette bonne humeur de substitution qu’elle affichait depuis qu’elle virevoltait dans ce climat familial. Kayla passait son temps à nous mitrailler de photos. Sans doute travaillait-elle à me construire des souvenirs de famille tout en me laissant en profiter. Ou alors prenait-elle des photos pour compléter les albums d’Alexis. Les pastillas et autres douceurs cuisinées par Kenza ravissaient nos palais. J’avais tenu à inviter Alexis pour cette dernière soirée afin de la remercier de ses initiatives et lui faire profiter de ce moment convivial. Après tout, je lui devais toujours un diner. Grand bien m’en fut : Alexis tint à se mettre aux fourneaux auprès de Kenza pour apprendre quelques plats typiques de chez elle. Les rires fusaient. J’étais malheureusement contrainte de servir encore de traductrice pour Patrick, handicapé par son manque de maîtrise linguistique, qui était assis près du mari de Megan. Quelle bonne idée elle avait eu de ramener son époux ! Cela ajoutait de la véracité à mon environnement aux yeux de mes proches. Des connaissances exclusivement féminines auraient pu éveiller les soupçons. Le repas durait quelques heures, rythmé par les anecdotes de mon père sur mon enfance et celles partiellement retouchées de mes sœurs à mon égard. Je fus la risée de tous mais les babillages allaient bon train et dissimulaient les nombreux plats que nous finissions d’ingurgiter à tour de rôle dans la cuisine, discrètement en ramenant les assiettes vides.
Quand vint l’heure de passer au dessert, tout le monde se leva pour donner un coup de main et débarrasser la table. Patrick, en tête, tenait à se rendre utile.
– « Laisse-nous faire, Papa. Repose-toi », lui conseillai-je en l’interceptant à la cuisine.
– « Non, je n’ai rien fait de la semaine. Je tiens à donner un coup de main. Tout le monde a été si gentil. Je ne voudrais pas que ce manque de manières porte préjudice à mon retour pour te voir. »
– « Mais non, voyons. Laisse… »
Je tentai de lui reprendre le plat à salade des mains mais il esquiva. Dans un mouvement de recul, il se cogna à Kenza et laissa le plat s’échapper et se briser sur le sol. Tous les deux se baissèrent instantanément pour ramasser les morceaux. Leurs mains se frôlèrent. Un sursaut de Kenza attira mon regard. Son visage s’était figé d’effroi. Ses yeux étaient exorbités. Sans plus de réaction, elle agrippait la main de mon père. Patrick, la croyant blessée, commençait à chercher la plaie en retournant sa main. Dans un réflexe, je l’écartai. Tout sauf ça. Pas après cette semaine parfaite. Personne ne devait se douter. Elle ne devait pas apprendre quelque chose de tragique sur mon père. Kayla, à portée de main, prit mon père par les épaules et le reconduisit à table en tentant de le rassurer avec le peu de mots en français qui lui venaient en tête. Je profitais du brouhaha pour calmer Kenza.
– « Kenza, c’est moi. Elise », chuchotai-je nerveusement. « Ça va aller. Touche ma main. C’est calme, tu vois. Ça va aller. Respire. »
Comme pour donner l’illusion de couvrir sa blessure, Alexis prit des torchons mais au lieu de les déposer sur Kenza, elle s’enroula les mains dedans pour pouvoir la prendre sans risque par les épaules. Elle restait jusqu’ici prostrée.
– « Je vais lui faire un pansement. Ce n’est qu’une petite coupure, nous n’en avons que pour quelques minutes », s’excusa calmement Alexis.
C’était faux. Je le savais pertinemment. Kenza avait évité le contact avec ses semblables pour une raison : éviter les visions macabres. Elle avait vu mon père. Je m’affolais tout en chuchotant nerveusement à Alexis qui se dirigeait vers la buanderie, en guidant Kenza.
– « C’est mon père. C’est Patrick qui va avoir un souci, hein ? Fais-lui dire quand et quoi. S’il doit mourir à son retour, il doit rester. Ce sont les autres walkyries qui veulent se venger ? »
Je paniquais et le volume de ma voix prenait de l’ampleur. D’un regard, Alexis m’arrêta.
– « Elise, joue ton rôle. Elle ne peut voir que ses pairs, c’est encore une appelée. Elle a dû voir un détail sur le combat qui approche. Mais d’abord, il faut la ramener. Show must go on. »
Kenza était encore sous le choc et je n’en avais même pas conscience. Pour tout ce qu’elles avaient fait pour moi, pour la venue de ma famille, et pour toutes les fois où je devrais également tenir un rôle, je tentais de reprendre une contenance et d’enchaîner sur la suite du repas. Kayla et Megan prirent sur elles pour ranimer l’ambiance que nous avions encore il y a quelques minutes. Le mari de Megan, Jim, tenta de relancer la conversation qu’il avait alors avec Patrick pour le rassurer sur la non-gravité de l’incident et me forcer à revenir pour jouer la traductrice. Les enfants de Megan n’avaient même pas relevé l’incident et continuaient de jouer sur la console de jeux du salon.
Alexis et Kenza revinrent cinq minutes plus tard et reprirent le cours de la soirée. Mon père me fit traduire une nouvelle fois ses excuses. Kenza lui répondit directement en français que cela n’était rien et qu’elle était aussi fautive de sa maladresse, tout en évitant mon regard. Kayla nous servit le dessert.
L’heure des séparations avait sonné. C’était très dur. Pas autant qu’il y a quelques mois mais difficile tout de même. La peur avait pris le dessus auparavant. La peur et le devoir. Après sept jours passés dans la joie et la détente, la tristesse de les laisser de nouveau alourdissait mon humeur. Alexis avait bien tenté de me rassurer en me disant que les prévisions de Kenza ne pouvaient les concerner en toute logique, je ne restais pas sereine pour autant. Comme l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête, je ne pouvais m’empêcher d’envisager le pire. Lors de nos dernières conversations avant le départ de mes proches, Kenza me répétait qu’elle n’était pas sûre des premières prémonitions qu’elle voyait et que tout était flou. Elle omettait toujours de me préciser qui était concerné dans ce qu’elle avait vu lors du dîner ou ce qu’il se passait vraiment. Elle éludait mes questions et trouvait toujours un moyen de couper court à la conversation, ce qui m’inquiétait encore plus.
– « Bon, c’est le moment d’embarquer », se résigna Patrick. « Encore merci pour ce séjour. Tu nous as gâtés et cela nous a fait plaisir de te voir et savoir où tu vivais. »
– « Ça m’a fait plaisir de vous avoir ici. »
J’économisais mes mots. Par habitude dans les moments émotionnellement chargés, mais également parce que les au revoir me mettaient toujours mal à l’aise.
– « Non, c’est vrai. Au début, je craignais l’état dans lequel on allait te retrouver. Tu avais beau nous rassurer au téléphone… comprends-nous, ça aurait pu être une secte. »
Je ne pus retenir de rire à sa remarque. Ainsi, il avait bien pensé à cette éventualité.
– « Ne te moque pas. C’est vrai », me coupa-t-il, légèrement vexé. « Nous étions
inquiets. Mais te voir en pleine forme, avec tes nouveaux amis, ça m’a rassuré. Je les apprécie vraiment. Même si je ne comprends toujours pas un mot de ce que dit Kayla ou Alexis. »
Son honnêteté me fit de nouveau rire. Il me serra dans ses bras, sans trop s’attarder puisqu’il se sentait plus serein quant à ma situation.
– « Tiens-moi au courant dès que nous pourrons revenir et que tu seras libre. J’espère que tout se passera bien à ton travail. Et la prochaine fois, si tu reviens en France, n’hésite pas à revenir avec tes amis. Ils seront les bienvenus. »
– « C’est gentil, Papa. »
Vint le tour de Gab. Rassuré de me voir également en pleine forme, il repartait ravi de servir de testeur pour « nos jeux vidéo ». Son sac plein de démo (il faudrait d’ailleurs que je m’intéresse sur la provenance de ces jeux), il me serra dans ses bras et profita de cette accolade pour me glisser plus sérieusement un message.
– « A l’occasion, tu m’expliqueras pourquoi j’ai trouvé un sabre derrière le radiateur de ta chambre. Même si ça sert d’inspiration pour tes personnages de jeu, ça n’explique pas sa cachette, ni ta nouvelle musculature… on ne me la fait pas. Je ne suis pas aveugle. »
Je me tétanisai sur ses mots mais repris très vite une contenance. Moi qui croyais l’avoir berné.
– « J’ai récupéré cet appart à mon arrivée, je n’ai pas vu ce sabre mais je veux bien que tu me dises exactement où tu l’as trouvé. Je verrais avec Alexis pour le renvoyer au précédent locataire. Et pour ma musculature, tu te fais des idées. J’ai pris en masse, certes, mais quand tu vois le peu d’activité qu’on peut faire avec ce temps, ça m’a permis de me concentrer sur une résolution que j’avais depuis longtemps mais que je n’ai jamais tenu sur Paris : le sport. Mais le message est passé », dis-je en lui faisant un clin d’œil. « Je vais ralentir sur la cadence pour ne pas ressembler à une lanceuse de poids des pays de l’Est. »
Sans vraiment être convaincu par ces explications rationnelles, il reprit plus fort et en anglais pour tout le monde.
– « Au revoir, Élise. Encore merci pour tout, les filles. Si quelque chose vous fait plaisir en France, n’hésitez pas à me le dire pour que je vous l’envoie ou le ramène quand je reviendrai. »
Ils s’éloignèrent, non sans se retourner plusieurs fois pour nous saluer. Je restais crispée sur le tarmac de l’aéroport, avec mes nouvelles craintes. J’avais hâte d’enlever cet énorme manteau doublé qui n’avait servi qu’à donner le change auprès de Gab et Patrick. J’étouffais.
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L’Amazone – Roman fantasy – Faits et fiction
Quelle est l’origine du mot Amazone?
Une croyance complètement absurde persiste lorsque l’on évoque les amazones: ces guerrières implacables se couperaient le sein (ou le dessécher) afin de mieux tirer à l’arc. Cette idée persiste notamment avec l’analyse de l’origine du mot amazone: a et mazon qui signifie “sans seins”. Si l’on regarde du côté arménien, on trouve une origine plus en rapport avec le modèle religieux matriarcal, à savoir “femmes de la lune”. Ceci semble être confirmé via des représentations de ses guerrières présentées comme des prêtresses.
Dans notre histoire, les gardes rapprochées des alphas héritèrent de ce nom ou titre pour leur côté harpies, mais également pour leurs dons presque « divins » pour mettre l’ennemi à mal, aussi bien via leur force, leur intellect ou leur fureur ancrée dans leur âme. Les euménides deviennent donc ici une caste spécifique des Amazones et Valkyries. Est-ce qu’une euménide est toujours une femme guerrière, une amazone ou valkyrie un peu plus fluette? A-t-elle toujours des dons? Comment se reproduisent les Amazones Euménides? Autant de questions dont vous trouverez peut-être les réponses dans les chapitres suivants.
Qui sont les Parques?
Les Parques sont au nombre de 3: Clotho (qui file le fil de la vie), Lachésis (mesure ce fil sur sa baguette et juge cette dernière) et Atropos (de ses ciseaux, coupe ce fil pour mettre fin à cette vie). La dernière est la plus petite mais la plus redoutable des 3.
Erèbe les engendra de la Nuit.
Selon certains textes, Zeus lui même serait soumis aux Parques car elles ne sont pas sa progéniture mais des rejetons nés par parthénogénèse de la grande Nécessité, appelée également « La Puissante Parque » contre qui même les dieux ne peuvent lutter.
Les Erynies étaient parfois apparentés ou assimilés aux Parques. Elles avaient alors des têtes de chien, des ailes de chauve-souris et des cheveux faits de serpents. Elles vivaient dans l’Erèbe.
Et donc, qui sont les Pythies?
Leur rôle, comme nous avons pu le voir est assez nébuleux: elles sont censés être le lien entre les dieux et mortels, ou sont capables de lire l’avenir, ou encore entretenir le temple de la divinité qu’elles vénèrent… bref il est difficile de connaitre la vraie fiche de poste d’une Pythie.
Certains passages de texte au sujet des pythies peuvent toutefois nous éclairer…
Les pythies ne voient pas tout du futur et se prêtent volontiers à l’interprétation: quand Oedipe consulta l’Oracle de Delphes pour connaître son avenir, les Pythies lui répondirent de fuir, de s’éloigner de l’autel car en tuant son père et en épousant sa mère, il allait corrompre l’autel de cet oracle. A ce moment précis, elles ne savaient pas qu’elles participaient, telles un outil, à la mise en place de ce destin funeste. Oedipe, qui aimait ses parents adoptifs tout en ignorant qu’il avait été adopté, prit le parti de fuir sa terre natale. Il rencontra son père biologique en chemin et lorsque ce dernier lui manqua de respect, il renversa son char et le tua. Il épousa sa veuve qui était donc sa mère. Mais sans cette prophétie de pythie, Oracle se serait-il mis en fuite du royaume de ses parents adoptifs?
Certaines pythies sont destinées de par leur ordre de naissance et leur famille à embrasser cette vocation, mais d’autres la subisse. Exemple: Tirésias. ce dernier était le divin aveugle le plus connu de son temps. Trois mythes explique ce don et cette cécité: 1/ il aurait aperçu par inadvertance Athena en train de se baigner. Cette dernière lui aurait ôté la vue sous l’affront mais face aux pleurs de sa mère, lui aurait donné en échange le don de divination. 2/ Un jour en chemin, il aurait vu deux serpents s’accoupler. Ces derniers l’ayant attaqué, il tua la femelle d’un coup de bâton. En guise de punition, il se transforme en femme et devint une prostituée célèbre. Sept ans plus tard, il assista à la même scène. Il tua le serpent mâle et repris son ancienne apparence. Un jour Héra s’engueulait de nouveau avec Zeus au sujet de ses infidélités. D’un mot à un autre, ils en sont venus à débattre de qui, de l’homme ou la femme, prenait le plus de plaisir dans l’acte sexuel. Tirésias qui passait par là et qui avait visiblement envie de s’attirer des ennuis en ramenant sa science, confirma les dires de Zeus en assurant qu’il s’agissait bien de la femme. Héra, mauvaise perdante, lui ôta la vue, mais Zeus le récompensa en lui donnant le don de prophétie et en lui offrant de vivre sur sept générations. Moralité, prophète, pythie ou simple badaud, il faut apprendre à la boucler.