Chapitre 3 – L’Amazone – Tome 1
J’en étais encore à trier les évènements dans ma tête pour leur donner plus de sens, de réalisme et surtout pour me permettre de les assimiler. Comment d’un simple déjeuner à côté d’Olga, j’en étais arrivée à la soutenir à bout de bras, son sang se répandant sur mes vêtements ? Cela devait juste être un moment de détente entre collègues. Juste un repas avec Stéphanie, Jeanne, Caro et … Caro, ma pauvre Caro gisait maintenant sur le sol. Ses convulsions avaient cessé, ce qui m’inquiétait encore plus. Mais déjà des types en bleu et blanc s’en occupaient. Ils faisaient « au plus urgent », disaient-ils. Je restais scotchée, sur le carrelage froid de la salle de restaurant. Ou du moins ce qu’il en restait. Seuls les battements de mon cœur et de mes tempes douloureuses se faisaient l’écho des pas rapides qui écrasaient les débris de verre autour de moi.
Je tentais encore une fois de me remémorer les évènements : qui avait commencé à ouvrir le feu, pour quelles raisons, qui avait été blessé…. J’essayais de me souvenir. Je me creusais la tête à la faire exploser. Mais seules les images de mes proches revenaient devant mes yeux. Leurs visages déformés par la douleur et la terreur s’imposaient lorsque je fermais les yeux pour me concentrer. Les éclats de verre avaient cisaillé leurs traits pour la plupart et leurs mains mutilées se contractaient pour contenir leurs tremblements. Le tireur n’était plus dans les lieux. Il avait déjà été emmené par les policiers et ambulanciers arrivés sur place. Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé depuis le dernier coup de feu. Ni depuis combien de temps les secours s’affairaient autour de nous. Qui les avait alertés, d’ailleurs ? Je ne savais pas si le tireur était encore en vie. Étais-je devenue quelqu’un d’aussi insensible pour s’en foutre ? Après tout, il avait fait ça par désespoir. S’il n’avait pas glissé sur la même plaque de glace que moi une heure auparavant, aucun coup de feu n’aurait été échangé.
Le patron du bar était debout. Il répondait aux premières questions des forces de l’ordre arrivées sur place. En tournant la tête, je voyais que d’autres passants à l’extérieur se faisaient interroger. On étendait devant moi un drap sur un corps inanimé : le jeune serveur. Ce n’était pas juste. Mais je ne pleurais pas. Je n’arrivais pas à pleurer. D’ailleurs, je ne sentais toujours pas la douleur de mes propres blessures. Je tentais de trouver l’origine des divers filets de sang ruisselant et tachant mes vêtements. J’abandonnais. Je m’en foutais en fait.
L’Hôpital (L’Amazone, Chapitre 3)
Hébétée par les évènements, le temps s’arrêtait comme pour me laisser contempler les dégâts. Olga, sur mes genoux, fixait encore le dessous de la table. Elle n’avait plus soufflé un mot, mais des larmes se traçaient un chemin sur le côté de ses joues. Je la regardais et ce que je voyais m’intriguait. Elle souffrait, avait peur, mais réalisait l’ampleur de la situation plus que je ne le pouvais… et malgré cela, elle se sentait soulagée. Elle n’était pas ravie de vivre cette épreuve mais soulagée que quelqu’un soit à ses côtés. Le ridicule de cette prise de conscience en était tristement risible.
Un mouvement autour de ma taille me sortit de mon état léthargique. Des ambulanciers s’occupaient enfin de nous. Les autres blessés par balle étaient déjà dans les premières ambulances. Des bribes de conversation résonnèrent.
– « Mademoiselle, nous allons vous emmener aux urgences pour vous examiner. Ne vous inquiétez pas, il n’y a plus aucun danger…Mademoiselle… Hé, Fred, j’en ai une ici qui ne réagit pas. »
– « Elle est choquée, c’est normal. Regarde-moi ce carnage. Soulève-la doucement. Continue de lui parler. Je vais m’occuper de sa copine à terre. On va les mettre dans la même ambulance. L’état de la tienne a l’air moins grave et il faut faire au plus vite. »
Mais de qui parlait-il ? Quelle copine ?
Caro n’était plus là. Je ne savais même pas comment elle allait. Christopher avait également été emmené inconscient. Jeanne et Stéph’ étaient parties, escortées par des policiers. Avant de réaliser de qui ils parlaient, je gravissais la petite marche pour rentrer dans l’ambulance. Olga avait été mise sur un lit/civière, qu’on faisait rentrer dans cette dernière. Le trajet parut durer quelques secondes.
Déjà, on m’aidait à descendre du véhicule. On me soutenait comme si j’étais une personne du troisième âge.
– « Mais qu’est-ce que tu fous, enfin ? Comment ça se fait qu’elle n’est pas sur une civière ? Tu as vu tout ce sang ! Et si elle avait été touchée par balle ? »
– « Ah c’est bon, fous moi la paix », se défendait l’ambulancier de tout à l’heure. Elle peut marcher, donc c’est bon ! Ce ne sont que des éclats de verre, elle est juste sonnée. »
– « Mais tu es vraiment à côté de tes pompes », hurlait maintenant l’interne de service. « C’est justement parce qu’elle est en état de choc qu’elle serait incapable de te dire si elle est blessée et de ressentir les blessures par balle. Si le chef de trauma voit comment elle est arrivée, tu ne finiras pas ta deuxième année, je te le garantis. »
L’héroïne du jour (L’Amazone, Chapitre 3)
On m’allongeait sur le premier lit disponible dans les couloirs. Je commençais enfin à émerger.
– « Ça va aller, madame. Je n’ai pas trop mal encore », balbutiai-je à l’infirmière qui s’occupait maintenant de mon cas. « Où sont les autres ? »
– « Allongez-vous », m’ordonna-t-elle en me repoussant vers mes oreillers. « Nous allons vous mettre dans une chambre avec votre amie. »
On poussait déjà mon lit, qui était en fait un brancard depuis le début, dans une vaste pièce où se trouvait Olga. Un jeune interne était à ses côtés. Il énumérait ses blessures pour le chirurgien qui se tenait au fond de la pièce.
– « Sans regarder le dossier, je dirais : jeune femme d’une vingtaine d’années, blessure par balle à l’épaule gauche. Aucun organe vital ne semble être touché. Début d’hémorragie vite arrêtée. Le projectile n’a pas encore été extrait. En attente d’une poche de A négatif. Nombreuses lésions dues aux éclats de verre. Sans gravité. État stable… et constitution robuste chez cette patiente », finit-il dans un rictus.
Son accent, que je n’arrivais pas à identifier, se faisait discret.
– « Très bien », lui répondit le chirurgien d’un sourire. « Tu me la programmes dans quatre heures. Je m’occupe du couple arrivé juste avant elle avec des blessures plus sérieuses. En attendant, enlève-moi ces bouts de verre, nettoie ses plaies et remplis son dossier d’admission. Au fait, cela va bientôt faire quelques jours que tu es en visite dans cet hôpital. Ton parcours est intéressant. Ne tarde pas à nous donner ta réponse. »
– « Merci, je vous dirai ça demain. Je prends ma décision ce soir. »
En se retournant, je vis enfin son visage. Il avait des traits fins et rieurs. Ses yeux d’un vert discret pétillaient au moindre sourire esquissé. Son petit nez droit jouait un contraste parfait avec ses pommettes saillantes et ses fossettes profondément ancrées dans la ligne de ses joues. On aurait dit un gosse qui n’avait pas fini de mûrir pour devenir un homme. Et pourtant, il devait avoir dans les vingt-cinq ans. Il gardait une malice de gamin immature. Ses cheveux noirs jais mettaient en valeur son teint frais et son sourire sans défaut. Je ne pus m’empêcher de penser avec ironie que ce type avait mieux à faire sur une pub pour le dentifrice Colgate que dans un hôpital parisien, en train de faire le tri des malades et blessés aux urgences.
Sa tignasse était savamment ébouriffée dans le style je-n’ai-pas-le-temps-de-me-coiffer-mais-j’ai-toujours-du-swag. Lorsqu’il se rapprocha pour ausculter l’épaule d’Olga, je devinai à travers les mouvements de sa blouse que son corps était la continuité logique de ce visage quasi parfait. Mesurant près d’un mètre quatre-vingt-dix, il avait un corps musclé sans excès. Il incarnait le genre de type qu’on imagine businessman à succès, sportif émérite, super cool avec ses employés, un mannequin à son bras … Sa perfection m’irritait désormais. Je m’interdisais de le regarder. Après tout, j’étais censée être choquée et souffrir le martyr. Et puis ce genre d’hommes n’était pas fait pour moi. Je préférais les ingénieurs informaticiens. Gentils, faciles à vivre, ancrés dans la réalité, assez malins, peu bavards, qui se lèvent avec des épis… ça au moins c’était du naturel. Et quand je les présentais à mes amies, je ne craignais pas de me les faire piquer… En même temps, pas besoin. Le dernier s’était barré au Japon pour faire des dessins miteux en espérant faire carrière comme dessinateur de manga.
– « Élise ? Élise, t’es là ? », beugla une voix faiblarde.
– « Oui, Olg… Marie. Ça va ? Tu n’as rien ? »
– « Non », dit-elle dans un sanglot. « Je suis contente que tu sois là. J’ai eu si peur »
– « Il n’y a plus rien à craindre. C’est fini, et on est à l’hôpital. Le plus important maintenant est qu’on te soigne et que tu ailles mieux. »
– « Votre amie a raison », interrompit l’éphèbe du service des urgences. « Maintenant, je vais commencer à extraire les éclats de verre. J’ai appliqué une lotion légèrement anesthésiante pour la douleur. Je désinfecterai dans la foulée. Je vais également vous poser des questions pour remplir votre dossier »
– « D’accord », répondit bravement Olga. Elle ne pouvait désormais plus contenir ses larmes. La pression se relâchait. « Je n’en reviens pas d’être là, de ce qu’il s’est passé. C’est Élise qui m’a tirée sous la table pour me protéger. Elle n’a pas eu peur. C’est grâce à elle si je suis encore là. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui se serait jetée pour sauver une autre qu’elle croise à peine au travail… ».
Elle me mettait dans l’embarras. J’avais horreur d’être sous la lumière des projecteurs. Que me faisait-elle ? Pourquoi ne gardait-elle pas sa réserve habituelle dans un moment pareil ? Elle m’affichait devant tout le monde. Le beau gosse du service allait croire que j’allais m’enorgueillir de ce nouveau statut d’héroïne, telle une pauvre fille au quotidien terne, qui compte sur les doigts d’une main les moments de gloire dans sa petite vie. Il esquissait déjà un sourire empreint de pitié face à ce constat. Non, je ne le laisserai pas faire. Il ne me connaissait pas, et ce que nous disait Olga n’avait rien à voir avec la réalité. J’étais trop fière pour accepter ces regards pleins de bons sentiments arrosés avec un zeste de condescendance. J’étais sur le point de riposter, quand il me devança.
– « C’est vrai », commença-t-il un peu contrarié. « J’aurais cru qu’une grande fille comme vous aurait tenu le coup, mais le plus important est que vous soyez encore parmi nous. En tout cas, bravo mademoiselle. Vous avez un bon instinct de survie. Vous pouvez en être fière, et… » dit-il en se retournant enfin vers moi. Son visage se figea, comme s’il avait reçu un coup de poing dans l’estomac.
Mon visage devait avoir plus souffert que je ne l’avais cru. Je commençais à ressentir les douleurs mais je n’avais pas encore aperçu mon reflet. Je savais que c’était pure vanité dans un moment pareil, mais j’espérais que mon visage allait s’en remettre et que je ne garderai pas de cicatrices.
– « Non, détrompez-vous », rétorquai-je plus vive que je ne l’aurai voulu. « C’est un gros coup de chance. Je me suis mise à l’abri et j’ai tiré la première personne à ma portée ». Malgré moi, je vis au regard d’Olga/Marie que je l’avais blessée. J’essayais de me rattraper. « Il n’y a rien d’héroïque. C’est juste du bon sens. Et Marie a eu la chance d’être à ma portée. Et puis j’aurais tout aussi bien pu être touchée. A la fin, ça tirait dans tous les sens. »
Il continuait de me fixer, et bizarrement, il affichait un air déçu. Ma version avait dû le refroidir. Tant mieux. C’est ce que je voulais. Du moins, je m’en persuadais. Revenant à Olga, il commença à retirer les bouts de verre.
– « Si vous voulez bien, je vais commencer à vous poser les questions d’usage. Votre nom, s’il vous plaît ? »
– « Marie Soler. S-O-L-E-R. »
– « Merci », lâcha-t-il alors qu’il finissait de noter. « Votre âge ? Votre date et lieu de naissance ? »
– « Vingt-cinq ans. Née le 9 juillet 1995, à Saint-Etienne ».
Il continuait les questions d’usage, quand je notai qu’il butait sur une réponse d’Olga.
– « Vous n’avez vraiment personne à prévenir ? Pas de parents, de proches, ou de colocataires ? »
– « Ma mère. »
Elle donnait ses coordonnées.
– « Pas de petit-ami ? »
Sa question n’en était pas une. C’était pour lui une évidence. Quelle arrogance !
– « Non. »
– « Bien, je crois que nous en avons fini pour l’instant. Je vais soigner les plaies de votre amie, en attendant qu’on vous prépare pour le bloc afin d’extraire la balle. Le chirurgien que vous avez vu tout à l’heure sera celui qui se chargera de l’intervention », finit- il dans un sourire bienveillant.
– « Dans combien de temps pourrais-je sortir ? »
– « Vous venez d’arriver avec une blessure par balle, et vous êtes déjà pressée de sortir ? », s’amusait-il. « Pas avant deux-trois jours, je pense. Peut-être plus tôt selon la tournure des évènements. »
Ses réponses étaient assez bizarres. J’aurais cru que ce genre de blessures nécessitait un séjour plus long dans les hôpitaux. Je me repris : je devenais parano avec les évènements de la journée. Il faisait rouler sa chaise en ma direction.
– « Comment va l’héroïne du jour ? », claironna-t-il avec une lueur dans les yeux. Il enchaînait sans attendre de réponse. « Vos nom et prénom s’il vous plaît ? »
Je prenais mon temps avant de répondre car il retirait en même temps un éclat de verre près de mon oreille. Je redoutais que le fait de bouger un muscle puisse compliquer l’extraction.
– « Elise Breson. B-R-E-S-O-N. »
– « Votre groupe sanguin ? Je me permets de vous le demander car vous ne l’avez pas renseigné lors de votre transfert en ambulance. Vous n’étiez pas très bavarde. »
J’appréciai sur le moment le tact dont il faisait preuve. Malgré moi, je me sentais idiote d’avoir été aussi choquée à mon arrivée. Pas très glorieux pour l’héroïne du jour.
– « A positif. »
L’interrogatoire continuait alors qu’il enlevait les éclats sur mes mains. Je lui donnais mon adresse, ainsi que des informations complémentaires sur ma santé. Ses questions étaient bien plus professionnelles que pour Olga. Très vite, nous arrivions à la dernière question de sa liste.- « Avez-vous le nom d’une personne à prévenir ? »
– « Oui mais pas dans l’immédiat. Je l’appellerai plus tard. »
– « Il va falloir que je renseigne ce champ, juste au cas où. Un parent, un proche, un colocataire, un petit-ami ? »
– « Mon père et mon frère. »
– « Donc pas de petit-ami ? »
– « Euh… non. »
J’avais bloqué plus que je ne devais sur cette question. Un rictus de satisfaction se dessinait sur ses lèvres alors que je commençais à lui donner les coordonnées de mon père et qu’il les notait. Je fulminais et en oubliais le tact dont il avait fait preuve précédemment. Ainsi, mon célibat lui était tellement évident que le simple fait de devoir poser la question lui paraissait ridicule et risible, tout comme pour Olga ? Quel imbécile ! Pour qui se prenait-il pour se moquer et juger la vie des gens ?
– « Très bien », enchaînait-il. « L’infirmière à mes côtés finira les points de suture sur vos bras et vos jambes. Nous allons vérifier que vous n’avez pas besoin d’une transfusion car vous semblez avoir perdu beaucoup de sang. Nous ne voulons courir aucun risque. Une fois que vous serez reposée et que nous aurons les résultats, nous vous ferons une ordonnance pour les antidouleurs et signerons l’autorisation de sortie. Une ambulance vous ramènera chez vous, à moins qu’une personne de confiance vienne vous chercher. Revenez dans trois semaines pour enlever les fils, s’ils ne sont pas partis par eux-mêmes. » Reprenant sa respiration, son regard fuyait désormais le mien. « Prévenez vos collègues que votre amie restera un moment avec nous. Son état de santé ne permettra aucune visite lors des premiers jours. Mais ne vous inquiétez pas, nous prendrons soin d’elle. Je vous le promets. » Je voyais déjà Olga pâlir.
– « Mais je suis actuellement avec elle dans la même pièce et elle est consciente et bien éveillée. »
– « C’est le protocole », coupa-t-il. « Vous pourrez toujours venir rendre visite à vos autres collègues. »
J’avais beau savoir qu’il détournait la conversation sciemment, je ne pouvais m’empêcher de saisir la perche et me renseigner sur l’état de Caroline. Mais il n’en savait rien.
– « Reposez-vous bien. Je vous souhaite un bon rétablissement. Oh, j’allais oublier : vous pouvez souffler, votre joli minois ne gardera aucune cicatrice. Vous avez eu de la chance. »
Ses yeux avaient brillé une dernière fois avant que la porte de la salle ne se referme sur lui. Déjà ses pas résonnaient dans le couloir. Pff, je ne me laisserai sûrement pas avoir par ce dragueur d’infirmières à deux balles. Une heure passait. Des brancardiers venaient chercher Olga pour l’emmener au bloc. Elle me fit signe de la tête pour ne pas déranger l’infirmière qui terminait quelques points de suture sur ma cuisse. Je réitérais mes vœux de rétablissement et lui rappelait qu’on se reverrait très vite.
Une gêne (L’Amazone, Chapitre 3)
On vint m’apporter une poche d’antibiotiques à faire passer par intraveineuse. Je profitais de voir une nouvelle infirmière pour me renseigner sur l’état de santé de Caroline et Christopher.
– « La jeune femme va bien. Elle vient de sortir du bloc. Les balles ont été extraites mais elle a besoin de beaucoup de repos et de rééducation. Pour le jeune homme, je ne peux pas encore me prononcer, il est encore au bloc. Mes collègues me disaient que ses blessures étaient déjà un peu plus graves. Il s’est pris plusieurs balles, dont certaines au torse. Le pronostic vital n’était pas engagé lorsqu’il est entré au bloc, mais on ne sait jamais. »
J’étais sous le choc de ces révélations mais je remerciai cette jeune femme pour son honnêteté. Je me doutais que ces « bavardages » auraient pu lui couter cher s’ils avaient été entendus par ses supérieurs.
J’appris par la suite que Jeanne et Stéphanie avaient été isolées par les forces de l’ordre pour le premier interrogatoire. Elles n’avaient rien. Quasiment aucune coupure. Elles avaient prévenu Robert, notre boss, qui nous avait promis de nous rendre visite dans l’après- midi. Maintenant que je pouvais enfin me reposer seule dans la pièce, je me serai presque passée de sa visite tant j’étais fatiguée. Je me rappelais que mon téléphone portable était dans la poche arrière de mon pantalon, disposé le temps des sutures sur la chaise à côté. Mon portable était la seule chose qui me restait. Mon ordinateur portable et mes bijoux servaient désormais de pièces à conviction. Il fallait que je pense à les réclamer lors de mon interrogatoire. Je dégainai mon portable. Je savais que je ne devais pas téléphoner dans un hôpital mais je me rassurais en me disant qu’aucune personne branchée à une machine n’était à côté de moi. Je savais qui prévenir. Je tombai malheureusement sur son répondeur.
– « Bonjour Damien, ici Élise », annonçai-je d’un ton faussement enjoué pour ne pas l’effrayer. « Tu ne devineras jamais : je suis à l’hôpital. Une petite fusillade a éclaté dans le resto dans lequel nous déjeunions ce midi. Je pensais que c’était au moins quelque chose de fascinant à te raconter, comme une guerre des gangs, mais en fait c’était juste un gars qui a pété un câble et voulait de l’argent. Le pire est que je n’ai même pas pu finir mon dessert. Je suis dégoûtée. Bref, si tu as ce message, ne panique pas, je vais bien… Enfin, oui, panique. Comme ça tu m’offriras un nouveau dessert quand je te verrais. Je devrais rentrer ce soir d’après les docteurs. Comme tu le vois, rien de sérieux. Gros bisous. »
Je raccrochais. J’étais sûre de le voir ce soir avec Adam.
Je composais un nouveau numéro. Cette fois, la personne décrochait directement.
– « Allô, Élise ? »
Il était surpris de m’avoir en ligne à cette heure.
– « Oui, c’est moi, Gab’ ! Ça va ? »
– « Oui, impecc’. Et toi ? »
– « Bien. J’ai quelque chose à t’annoncer mais ne panique pas, d’accord ? »
– « Qu’est-ce qu’il se passe encore ? Tu ne m’appelles directement que lorsque tu ne veux pas que Papa s’énerve. Ou quand tu as embouti une voiture. C’est ça ? T’as encore fait un accident ? Combien de voitures ? Il n’y a pas de blessés ? »
Il enchaînait les questions. Je n’arrivais pas à en placer une. Je dus le couper.- « Non, non, écoute-moi. Je suis à l’hôpital mais ce n’est pas de ma faute pour une fois. »
– « Quoi ? Mais ça va ? »
– « Oui, ça va. Il y a eu une fusillade dans le resto où je déjeunais ce midi. Un braquage. Plusieurs collègues ont été touchés. Mes blessures à moi sont superficielles, juste des coupures avec les morceaux de verre sur le sol… Allô, Gab’ ? Tu es encore là ? »
– « Oui, je suis là. Tu es sûre que ça va ? On vient avec Papa. On prend la route dès ce soir. »
– « Non, je ne te téléphonais pas pour ça. Je voulais juste te prévenir. Ce n’est pas grave. D’ailleurs je sors en fin de journée de l’hôpital. Ils ne me gardent pas. J’ai prévenu Damien. Tu le connais : il sera là pour moi dès mon retour à la maison. Et puis, ça ne servirait à rien que vous veniez car j’ai surtout besoin de repos. Et je viens toujours vous rendre visite dans deux semaines. » – « Alors que veux-tu de moi ? Qu’est-ce que je peux faire ? J’ai l’impression d’être inutile. »
– « Rien, rassure-toi. Je voulais juste te prévenir en premier car tu es plus rationnel que Papa, et je ne voulais pas que tu l’apprennes autrement. » – « C’était une vraie fusillade ? »
– « Euh oui … il y a même eu un mort malheureusement. Mais ne mentionne pas cela tout de suite à Papa quand tu lui diras. »
– « T’es vraiment un aimant à poisse ! Et tes blessures ne sont vraiment pas graves ? » – « Non. Juste des éclats de verre sur les jambes et les bras. J’en ai reçu aussi un près de l’oreille mais ça ne laissera pas de cicatrice. On m’a déjà fait mes points de suture et pansements. J’attends des nouvelles des autres, car Caroline et Christopher ont reçu des balles perdues. J’ai eu le temps pour ma part de me jeter sous une table. Pas eux. Je devrai bientôt recevoir mon autorisation de sortie et mon ordonnance. Une ambulance me reconduira chez moi. »
– « On peut t’appeler ce soir ? »
– « Oui, bien sûr. Je serai chez moi. Il y aura sûrement Damien. »
– « OK, on t’appellera pour prendre de tes nouvelles. Ensuite, on te laissera te reposer. »
– « Au fait, dernière consigne : attends que Papa soit revenu à la maison pour lui annoncer. S’il doit prendre sa voiture après l’avoir appris, il risque d’être distrait et de causer un accident. On n’a pas besoin de ça en ce moment. »
– « C’est sûr. Tu as hérité de son manque d’attention. A tout à l’heure, Élise. »
– « A tout à l’heure. Bisous. »
– « Hé ! Est-ce que j’étais sur ton testament s’il te serait arrivé quelque chose ? »
Je savais ce que sa blague signifiait. Il utilisait l’humour pour s’aider à dédramatiser la situation.
– « Uniquement si tu me laisses ta voiture dans le tien. Dans le cas contraire, tu me verrais dans l’obligation de te laisser reposer toute l’éternité près d’une décharge municipale. Bonne journée et bisous. »
– « Bisous. »
Nous raccrochâmes de concert. Je savais que cette nouvelle l’avait un peu ébranlé mais il fallait que je le prévienne.
Mon portable se mit à vibrer. Un SMS de Damien.
« J’espère que tu vas bien, ma chérie. On passe ce soir avec Adam. Prépare ta liste de course, on se charge de les faire. Tu dois te reposer. Je t’embrasse, ma puce. »
Je le connaissais décidément comme ma poche. Je le préviendrai plus tard de ma sortie. Mon portable remis dans ma poche arrière, je tentais de me détendre et de fermer les yeux. Impossible. Ces mêmes images me revenaient sans cesse en tête : Caro convulsant sous la douleur, Christopher allongé sur elle et le regard vide… Pauvre Christopher, vu l’endroit de ces blessures, il courrait peut-être le risque de rester paralysé. Lui qui voulait uniquement protéger Caroline. Et maintenant, à cause d’une foutue plaque de glace, nous en étions réduits à attendre son réveil pour savoir son futur. Pour la première fois, je me demandais ce que le braqueur était devenu. Je ne lui en voulais pas vraiment, malgré toute la douleur et le sang versé. Du moins je lui trouvais des circonstances atténuantes. La première était le désespoir qui l’avait poussé à ce geste. Il ne nous voulait pas de mal en soi, je le savais. Mais il avait paniqué… L’hôpital se chargeait peut-être de le soigner avant de l’envoyer directement en prison en attente de son jugement, ce qui n’arrangerait pas la situation de sa famille. Je me forçais à penser à autre chose pour trouver un peu de repos, mais je ne pouvais m’enlever la prochaine image de ma tête. Le jeune serveur. Comment allaient réagir ses parents ? Je ne pouvais même pas imaginer l’étendue de leur peine. La première chose qu’on entend dire est « j’espère qu’ils avaient un autre enfant », mais cela reste d’une débilité profonde. Rien ne remplace un proche, encore moins lorsqu’il s’agit de son enfant.
Cette journée avait été éprouvante. De nombreuses personnalités s’étaient également révélées. Christopher avait fait le plus beau (mais le plus stupide, selon moi) des sacrifices. Jeanne, qui était si exubérante et belliqueuse au travail, avait littéralement craqué sous la pression. J’avais réussi à garder mon calme majoritairement. Et Olga…outre la découverte de son véritable prénom, un caractère totalement divergent de celui imaginé avait montré le bout de son nez.
Je repensais au dernier échange avec l’interne. Pourquoi ne voulait-il pas que je lui rende visite ? Pourquoi m’avait-il fait la promesse de s’en occuper ? Courait-elle un réel danger lors de cette opération ? Sa blessure était peut-être plus grave que je ne le pensais.
J’en étais lasse de mes hypothèses, quand mon infirmière revient. Un coup d’oeil à la poche et je vis que l’antibiotique avait quasiment fini de passer. Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était. Je n’avais pas le courage de vérifier l’heure sur mon portable. Après un bref échange, elle me demandait de rester au calme et de manger un minimum de la collation qu’elle avait apportée pour reprendre des forces. Les médicaments qu’ils m’avaient passé dans le sang me barbouillaient un peu l’estomac. Elle devait revenir plus tard avec mon ordonnance et mon autorisation de sortie. Elle continuait par la suite son bavardage anodin en retirant le cathéter quand mon attention se focalisa sur ce que je voyais du couloir, à travers ma porte restée entrouverte.
Je les reconnus. Les deux armoires à glace de la veille. Celles qui semblaient attendre quelqu’un à l’accueil. Elles semblaient nerveuses, et affichaient toujours la même impatience. Étaient-elles là pour une autre personne de mon groupe ? Non, ce n’est pas possible. Elles auraient salué cette personne hier lorsque nous étions descendus tous ensemble. Leur regard était froid. De mon lit, j’arrivai à apercevoir les veines tendues de leurs cous. Elles étaient sur leurs gardes. L’une d’entre elles avait adopté une posture un peu bizarre : elle gardait les bras près de son buste. Pas croisés. Juste près de son buste, comme si elle s’attendait à devoir réagir à la minute et qu’elle ne voulait pas perdre de temps à sortir les mains de ses poches. Je ne vois pas de quoi elle s’inquiétait car personne ne semblait les voir. Leurs regards balayaient les couloirs à la recherche d’allers et venues suspects. Je noterai qu’elles s’attardaient toujours un peu plus longtemps en direction des portes menant aux blocs opératoires. Certes, la rationalité voudrait qu’elles attendent peut- être quelqu’un qui se faisait opérer. Mais la probabilité de les retrouver sur notre lieu de travail et l’hôpital dans lequel nous avions atterri, le tout en moins de 48 heures… ce n’était pas le fruit du hasard. Ce qui me gênait le plus dans cette situation, c’est la sensation qu’elles me renvoyaient. Outre la peur que leur gabarit faisait naître en moi, elles étaient profondément mauvaises. De cela, j’en étais sûre.
Je continuais de graver leurs visages dans ma mémoire quand l’une d’elles, se sentant épiée, me fixa d’un air mauvais et interrogateur. Au même instant, Robert frappa doucement sur la porte entrouverte. Il s’excusa auprès de l’infirmière, qui était sur le départ. Et s’adressant à moi :
– « Je peux rentrer, p’tite tête ? «
Sa diversion avait été un succès. Croyant que je fixais Robert depuis le début, la géante détourna vite le regard et vaqua à ses précédentes occupations.
Avant de fermer la porte, l’infirmière donna ses dernières recommandations.
– « Je vous autorise à rester un moment, mais ne tardez pas s’il vous plait. Les policiers ne l’ont pas encore entendue. De plus, elle a besoin de repos. » Et se tournant vers moi : « Je reviens avec vos papiers ».
Je la remerciai d’un sourire avant qu’elle ne quitte la chambre. Robert pris une chaise, qu’il rapprocha de mon lit avant de s’asseoir.
– « Stéphanie nous a prévenue. Jeanne et elle sont sous le choc. Le mari de Jeanne est venu la chercher après son interrogatoire. Stéphanie est en train de finir. Elles ont un peu honte d’avoir craqué sous la pression, alors que d’autres ont été blessés. Alors qu’est-ce qu’il s’est passé ? Raconte-moi, ma grande. »
– « C’est un braquage qui a mal tourné. Nous mangions tranquillement quand un gars armé est entré. Il avait besoin d’argent. Il était un peu paumé, désespéré. Tout se passait bien, il avait la caisse, nos portefeuilles et nos bijoux, quand il a dérapé sur une plaque de glace en sortant du restaurant. » Le visage de Robert encaissait l’information et trahissait l’exercice mental de ce dernier pour s’imaginer la scène. « Le premier coup de feu est parti, et puis les autres, mêlés à ceux du patron. » Ma voix se faisait plus discrète à l’annonce du sujet que j’allais évoquer. « Caro a été touchée plusieurs fois lors de sa tentative pour fuir les échanges de coups de feu. C’était affreux. Ça paraissait tellement irréel et à la fois bruyant…. Elle est sortie du bloc. Ses blessures sont sans gravité selon l’équipe médicale, mais elle devra faire un peu de rééducation. En revanche, on est toujours en attente du verdict pour Christopher. Il s’est jeté sur Caro pour la protéger et l’amener au sol mais s’est pris également plusieurs balles perdues. On ne sait pas encore s’il pourra s’en sortir indemne. Olga, la fille du cinquième, s’est pris une balle à l’épaule. Elle est actuellement au bloc. Et il y a ce jeune serveur, qui est mort. »
Il ne disait rien, mais me serra la main pendant une dizaine de secondes le temps que je reprenne une contenance.
– « Le reste de l’équipe voulait venir. Ils sont tous choqués. »
– « Je me doute. En même temps, si on ne peut plus simuler un braquage et une virée à l’hosto pour prendre son après-midi, où va le monde ? », dis-je avec un clin d’oeil.
– « Tu dois rester combien de temps à l’hosto ? Dis-moi si tu as besoin que je te ramène des effets personnels pour ton séjour, ou si tu as besoin de quelqu’un pour nourrir tes chats. »
Ce type était vraiment une perle.
– « Ne t’embête pas avec ça. Pour ma part, je rentre ce soir. Pour Caro, Christopher et les autres, ils doivent rester à l’hosto pour plusieurs jours en raison de leurs blessures. »
– « Attends un peu, ils ne te gardent pas plus longtemps ? Qu’en dit Damien ? » Robert n’était pas au courant de notre arrangement et me croyait vraiment en couple.
– « Non, j’ai juste des entailles à cause des bouts de verres. C’est impressionnant car il y a plein de points de suture et de pansements mais ça va. »
– « C’est insensé, ça ! », s’énervait-il. « En tout cas, je ne veux pas te voir au boulot avant une semaine ou deux. Tu te reposes. Et n’hésite pas à me dire si tu as besoin d’un soutien psychologique. Je connais un très bon psy réputé, sur Paris. Je peux t’avoir un rendez-vous. Après ce que tu as vu, ne crois pas que tu arriveras à le gérer toute seule. »
– « Ne t’inquiète pas comme ça. Ça va pour le moment. Et puis ce n’est pas en restant cloîtrée chez moi que cela ira mieux. »
Il me tint tête encore un moment mais je finis par laisser couler. Je n’avais pas envie de discuter. Je commençai à fatiguer, et de toute façon, je finirai par n’en faire qu’à ma tête.
On frappa de nouveau à ma porte. Deux policiers entrèrent. L’heure de mon interrogatoire était venue. Robert s’éclipsa discrètement. En le suivant du regard, je m’aperçus que les deux géantes s’en était allées.
– « Bonjour Mademoiselle BRESON. Nous savons que vous devez être fatiguée mais nous avons besoin de votre témoignage. »
– « Bien sûr, aucun souci. »
Cet interrogatoire dura en tout est pour tout trente minutes. Je recommençais mon récit en mentionnant chaque détail précédent l’échange de coups de feu, comme je m’étais entrainée involontairement à le faire. Je restais factuelle. Je ne cherchais pas spécifiquement à enfoncer le braqueur. Même si nous aurions tous pu y passer aujourd’hui, rien ne justifiait de décharger sa haine en noircissant le tableau de ses actes. Ce comportement déplut à l’un des deux agents. Cela m’importait peu. Je commençais vraiment à fatiguer et cela se voyait. Je me tenais à ma version, qui ne l’innocentait pas mais ne le trainerait pas plus dans la boue. A la fin de l’entretien, je leur demandais quand je pourrais récupérer mes effets personnels. J’avais le principal avec moi, mais j’étais attachée à certains bijoux. Je devais recevoir un appel quand je pourrais venir les chercher au commissariat. Après m’avoir demandé de rester à disposition s’ils avaient de nouvelles questions, les deux agents prirent congés.
La douleur de mes points de suture commençait à se réveiller. Ce n’était pas encore insupportable mais pour sûr, très désagréable. Je réajustai mon oreiller pour trouver une position plus adéquate. Je rêvais de pouvoir trouver le sommeil rapidement. Quelques minutes plus tard, mon infirmière revint avec mon ordonnance et mon autorisation de sortie. C’est à ce moment que je pris conscience de ma tenue tâchée de sang et découpée à certains endroits pour les sutures. La remarque de Robert me revint à l’esprit.
– « Excusez-moi, Mademoiselle, j’étais en train de me dire que je sortais vite après ce genre d’accident. Non pas que je veuille rester, car j’ai hâte de rentrer chez moi pour me reposer… Et ça ne veut pas dire que j’ai quoique ce soit à reprocher à l’hôpital, car vous m’avez très bien soignée. Vous avez été très gentille… » Je me perdais dans mes explications et commençais à balbutier. Il fallait que je me reprenne. « Enfin, je me disais que ça paraissait assez rapide. Je voulais juste savoir si c’était le temps de séjour habituel pour ce genre de blessures. »
– « À dire vrai, je suis moi-même étonnée. Le Dr MASON a spécifié que nous n’avions aucune raison de vous garder ici et que vous seriez mieux chez vous à vous reposer. Peut-être pense-t-il bien faire pour désengorger l’afflux de blessés dans l’hôpital aujourd’hui, » dit-elle comme pour elle-même. « Mais nous avons encore du personnel disponible. Je pense qu’il ne savait pas, car il est en visite dans l’hôpital depuis quelques jours. Encore un qui veut faire du zèle pour impressionner le chef des urgences. Mais rassurez-vous, les médicaments prescrits sur cette ordonnance sont des antidouleurs très puissants. Vous ne ressentirez rien. Contactez une infirmière pour changer vos pansements tous les deux jours, et pour le reste, dormez beaucoup. Si au bout de trois semaines, certains fils ne se sont pas encore résorbés d’eux-mêmes, vous pouvez repasser ici pour qu’on vous les enlève. Et si la douleur persiste, n’hésitez pas à revenir nous voir. Nous vous avons également glissé avec la fiche de sortie les coordonnées d’un psychologue de notre équipe. Nous vous encourageons vivement à le consulter. Vous n’allez pas tarder à ressentir le contre-coup, croyez-moi, et il faudra évacuer ça par des mots au plus vite. »
Sa sollicitude me touchait mais elle ne me connaissait pas. Dans la famille BRESON, mieux vaut souffrir le martyr qu’avouer ce que l’on ressent ou pense. C’est plus qu’une tare génétique chez nous, c’est une carte de visite. Je lui adressai néanmoins un sourire de remerciement.
– « Vous allez dans la salle d’en face », me dit-elle en m’aidant à me soulever du lit jusqu’au fauteuil roulant. « Nos ambulanciers viendront vous chercher pour vous reconduire chez vous. Prenez bien soin de vous. »
– « Merci beaucoup, pour tout. Bonne journée et bon courage pour la fin de votre service. »
– « Merci. »
Le jeune policier de tout à l’heure revint me voir. Il s’était entretenu avec ses supérieurs afin de me rendre mes clés pour pouvoir rentrer chez moi. J’avais zappé ce détail avant qu’il ne m’en parle. Ma tête commençait vraiment à devenir lourde.
– « Nous devons gardez les autres effets personnels pour les photographier en guise de preuve. Si l’avocat du braqueur plaide de suite coupable et trouve un accord, nous n’aurons pas besoin de les montrer lors de l’audience et vous les récupèrerez vite. »
Je le remerciai avant de le regarder partir. Je patientais depuis à peine quelques minutes lorsque mon ambulancier de tout à l’heure vint à ma rencontre. Ainsi, ce serait lui qui me raccompagnerait. Tant mieux, j’en avais marre des nouvelles têtes. Cela me donnera l’occasion de me racheter pour mon comportement de tout à l’heure.
« Home, sweet home » (L’Amazone, Chapitre 3)
– « Rebonjour Mademoiselle BRE-SON … Élise », buta-t-il en relisant mon nom sur son carnet de route. « Je suis content de vous revoir et surtout de vous voir partir aussi vite. Non pas que nous n’aurions pas aimé vous garder, mais cela serait le synonyme qu’il vous est arrivé quelque chose de grave et pas sympa. »
Je n’étais habituellement pas très fan de ce genre de libertés mais sa légèreté me rendit le sourire après cette journée pourrie.
Ma catatonie passagère l’avait peut-être mis mal à l’aise. Ou souhaitait-il s’amender pour le manque de précaution lié à mon transfert. Qu’importe, je ne voulais pas me poser de questions. Je fatiguais de plus en plus. Je lui répondis par un sourire. Timide mais sincère.
– « Ah, c ‘est bien ce que je vous disais. On préfère vous voir comme ça. Avec mon collègue, nous allons vous reconduire chez vous. A la demande du docteur, nous ferons spécialement un détour dans une pharmacie pour vous prendre vos médicaments, avant de vous déposer à votre château. »
– « C’est très gentil de votre part. » Je me penchai pour saisir mes papiers dans la poche arrière de ce qu’il restait de mon pantalon. « Tenez, voici ma carte vitale pour me faire rembourser, ainsi que ma carte de mutuelle. Je vous les donne d’avance car je risque d’oublier par la suite. »
– « Merci beaucoup. Maintenant, prenez place dans notre propre fauteuil roulant, nous allons vous avancer à votre carrosse, Milady. »
Et en plus, il faisait de l’humour. Il y mettait vraiment du sien pour me rendre le sourire. A travers les vitres du sasse d’accueil de l’hôpital, je vis que la nuit était déjà tombée. Mais quelle heure était-il ?
Le trajet me parut rapide. Malgré le gel qui se reformait sur la route, l’ambulance ne chassa pas une seule fois. J’eus à peine le temps de remarquer l’absence de l’ambulancier, qui s’était éclipsé pour se rendre dans la pharmacie proche de mon appartement, boulevard Pasteur. L’ambulance s’était arrêtée une deuxième fois. Émergeant de ma léthargie, j’en profitais pour redemander des nouvelles de mes collègues pendant qu’ils « déchargeaient » mon carrosse d’infortune du véhicule.
– « J’ai peu de nouvelles des blessés de la fusillade. Nous n’avons pas arrêté les allers-retours en ambulance et avons peu parlé avec l’équipe médicale. Mais d’après ce que j’ai compris, et ne prenez pas ce que je vais dire pour argent comptant, le jeune homme menacé de tétraplégie ne l’est plus. Je pense qu’il aura besoin tout de même de pas mal de séances de rééducation. »
Je commençais enfin à souffler. Christopher et Caroline n’allaient garder aucune séquelle grave. Un poids s’envola de mes épaules mais également de mon cœur. D’humeur plus légère, j’en vins à redécouvrir mon environnement.
L’immeuble où je vivais et auquel je m’accrochais encore ce matin pour progresser sur les trottoirs gelés. Le froid qui me fouettait de nouveau le visage. L’ambulancier était plus doué en conduite d’ambulance qu’en marche sur sols verglacés. A peine entrée dans mon immeuble, la gardienne qui vit mon état se pressa pour prendre de mes nouvelles.
Difficile de lui en vouloir pour son indiscrétion. Je ne pouvais qu’attirer l’attention avec ces vêtements tâchés de sang et déchirés de part et d’autre. Même la couverture de l’ambulance ne suffisait pas à cacher les loques de la journée.
– « Rassurez-vous, Mme Marchal, tout va bien. Il s’agit d’un incident dans un restaurant, mais je n’ai rien. L’hôpital a juste tenu à ce que je sois raccompagnée à mon domicile. » Devant sa mine éberluée, j’enchainais. « Si cela ne vous dérange pas, je vous raconterai tout plutôt demain. J’ai hâte de me reposer. J’ai passé trop de temps aux urgences. »
Cette dame était une perle. Elle comprit immédiatement et me proposa de me tenir compagnie demain matin. Elle me demandait également si je n’avais pas besoin d’aide pour mes courses ou autres, mais je refusais poliment. Même si son aide aurait été la bienvenue en temps normal, Damien s’était proposé de jouer la nourrice. Enfin, il ne le savait pas encore, mais je savais qu’il allait se proposer. Et j’avais envie de me faire chouchouter. Aussi, je remerciai vivement ma gardienne d’immeuble, avant que l’ambulancier, très patient, ne reprenne sa marche vers l’ascenseur. Arrivée à l’appartement, j’ouvris la porte avec difficulté et laissai à l’ambulancier le soin de me lever du fauteuil et me rendre mes papiers ainsi que mes médicaments. Je rentrai enfin chez moi avec une nouvelle liste de consignes, que je n’avais écoutée d’ailleurs que d’une oreille distraite. J’étais épuisée de ma journée. La douleur languissante se réveillait au fur et à mesure.
Une fois la porte fermée, mon premier réflexe était de caresser mes chats. Une nouvelle vague d’apaisement me submergea au contact de ces boules de poils. J’entrepris ensuite d’enlever tout doucement mes vêtements déchirés et de faire ma toilette. Je ne voulais pas m’endormir avec cette odeur de produit désinfectant et de sang sur moi. Mes points de suture rendaient difficile désormais chacun de mes mouvements, aussi je prenais mon temps tout en constatant pour la première fois l’étendue des dégâts devant un miroir. J’avais une mine affreuse. Toutefois, je me rassurais. Aussi livide et fatiguée que je pouvais être, mon visage avait été majoritairement épargné. Un éclat de verre en dessous de mon oreille gauche, près de ma gorge et une égratignure sur la joue droite. Désormais propre et habillée de vêtements amples et confortables, je découvrais et recensais le reste de mes coupures. Pas moins de dix-sept sur l’ensemble du corps. Certaines guériraient en quelques jours, car peu profondes. Je jetais à la poubelle mes vêtements déchirés, récupérant au préalable mon portable dans l’une des poches.
Comment avaient-ils pu me laisser repartir en guenilles comme ça ? D’habitude, les gens restent assez longtemps pour qu’un proche leur apporte des vêtements propres. Les autres patients de l’hôpital ont dû se poser des questions en me voyant repartir dans cet état.
Je me dirigeai ensuite vers la cuisine où je me servis un grand verre de soda. J’avais une envie irrésistible de sucre. Je l’engloutis d’un seul coup. J’avais plus soif que je ne le pensais. J’enchaînai sur un grand verre d’eau, accompagné des antidouleurs prescrits. Allumant la télé, je m’allongeai dans mon lit. Je ne regardais pas les programmes. Je voulais juste un bruit de fond. Enroulée dans la couette, je me reposais enfin dans mon lit avec mes chats.
La tête sur l’oreiller, pensive, je me remémorais pour la deuxième fois de la journée les évènements. Mes souvenirs étaient de moins en moins clairs. Sentant les picotements sous les yeux, annonciateurs sûrs d’une crise de larmes, j’empoignai mon portable. Il fallait que je me change les idées. J’appelais Gab et mon père. Au moins, cela m’éviterait de craquer. Les deux chats se tenaient près de moi. Leurs comportements étaient anormalement calmes. On aurait dit qu’elles me veillaient. En composant le numéro, je continuais de les caresser. On décrocha à la première sonnerie.
– « Allô, Élise ? C’est toi ? »
– « Oui, oui, papa, c’est moi. Ne t’inquiète pas, tout va bien. Gab t’a bien dit que je n’avais rien ? »
– « Comment ça rien ? Tu te fais tirer dessus et pour toi ce n’est « rien » ? »
– « Je ne me suis pas fait tirer dessus, j’ai juste reçu des éclats de verre. »
Je mis dix bonnes minutes à le calmer puis je dus de nouveau lui raconter les évènements de la journée. J’omettais bien évidemment certains détails.
– « Bon, on prend la route avec Marianne et Gab. On sera là demain dans la journée. »
– « Non, ce n’est pas la peine ! Le mal est fait et d’ailleurs je suis déjà rentrée à la maison. Or l’hôpital ne m’aurait jamais laissée rentrer si je n’en étais pas capable… » Cette logique le déstabilisa un peu et reprit d’un ton plus posé.
– « Oui, bah, à l’hôpital, ils ne savent pas toujours ce qu’ils font… les erreurs médicales, ça existe ! »
– « Arrête de dire des bêtises. Je sais que tu t’inquiètes mais tout va bien. Robert est venu me voir. Il me laisse autant de jours de repos dont je pourrais avoir besoin. »
– « Ça, c’est bien. Au moins quelqu’un de réaliste ! »
– « Oui, et ce soir, Damien vient me rendre visite. Tu le connais : lui et Adam vont me chouchouter et s’occuper de moi. Et même la gardienne a proposé son aide. »
– « Et pour faire les courses ? »
– « Je me ferai livrer, ou dans le pire des cas, je demanderai à Damien de l’aide. »
– « Mais… mais je ne peux pas te laisser là-bas sans rien faire ! »
– « Bon, écoute. Je comprends que tu t’inquiètes mais je dois rester à la disposition des policiers pour les prochains jours. Et pour le coup, j’ai vraiment besoin de me reposer. Je prendrais le train avec les chats ce weekend ou le weekend prochain et je passerai quelques jours à la maison. »
– « Oui, d’accord. Je préfèrerais. » L’argument de la police avait fait son effet.
– « Mais je n’ai besoin de rien, je te le répète. Je marche encore toute seule. Seuls les points de suture me font encore un peu mal, mais j’ai des médicaments pour ça, donc rien de grave. »
Je finissais de planifier avec lui ma venue. J’eus ensuite mon frère en ligne.
– « Bon, maintenant jouons un peu le jeu de la franchise, » enchaîna-t-il après s’être assuré d’être seul dans la pièce. « T’es sûre que ça va ? Ne me mens pas, pas avec moi. Je peux entendre la vérité. Je ne vais pas paniquer, moi. »
– « Oui, ça va. Je suis juste crevée. Je ne réalise pas encore. Ce n’est pas la douleur qui est la plus dure. Ce sont les images auxquelles j’essaie de ne pas penser. »
– « Je vois… »
– « Papa avait raison. Ça va me faire du bien tout compte fait de vous revoir. »
– « Oui, en plus ça fait longtemps qu’on ne t’a pas vu. »
Je ris doucement. Il avait depuis le début le plus calme, le plus posé. Ce n’est que maintenant que je me rendais compte qu’il avait été marqué parce qu’il venait de m’arriver. Après de rapides au revoir, je raccrochais. Des larmes se mirent à couler. Un véritable torrent que je ne pouvais contrôler. Je m’étais contenue toute la journée sans vraiment m’en rendre compte, mais mes nerfs venaient de lâcher. J’avais réprimé ma peur, les souvenirs de la fusillade, ma propre douleur et la vision de mes camarades touchés de plein fouet.
Je me laissais inonder par toutes ces émotions. A bout de force, il ne me restait qu’une fatigue plus lourde que jamais. Je m’écroulais de nouveau sur mes oreillers que j’avais réajustés. Une petite sieste ne me ferait pas de mal. Le calme retrouvé, je tombais dans les bras de Morphée. Mon dernier souvenir était le ronronnement de mes chats blottis contre moi pour dormir.
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L’Amazone – Roman Fantasy – faits et fiction
Dans cette fiction sur les Amazones et Walkyries, certains détails sont une extrapolation des recherches menés par des historiens. Tous s’accordent sur le fait que les Walkyries sont des êtres mythiques. Les dons qu’on leur prêtent s’inspirent en grande partie de l’histoire des Amazones, dont l’existence est avérée.
Ces grandes tribus de guerrières étaient craintes et respectées par tous ceux qui les connaissaient. Leur habileté au combat et leur courage face au danger n’étaient plus à démontrer et les exploits que l’on attribuait à ces Amazones se reposaient bien souvent sur des évènements de l’histoire.
Dans cette fiction, je respecte toutefois un principe qui fait la différence entre Amazones et Walkyries : la mortalité. Une Amazone n’était pas une divinité mais bien une femme d’armes. (La Walkyrie est un esprit immortel). La vie des Amazones dans le royaume des vivants ne présente pas moins de fantaisie à l’esprit car il n’exclut pas que la vie de ces dernières à travers les siècles. Après tout, certains dirigeants africains s’entourent bien d’une armée de femmes, qui le plus souvent est qualifié de plus « agressive » et redoutable. Les plus grandes destinées sont empreintes de bravoure, après tout! Ces groupes de femmes étaient connus pour leur habileté, leur courage, leur force, mais également leur amour commun de la bataille et leur passion pour la victoire.
Les femmes guerrières à travers la mythologie grecque … Les cyrènes
Autre type de guerrières. Né de la naïade Créüse et du dieu Fleuve Pénée, Hypsée, roi des Lapithes, avait épousé une autre naïade, dont il eut une fille, Cyrène. Cette dernière s’en fichait un peu de savoir tisser, filer et de maîtriser toutes les tâches qui feraient d’elle une bonne ménagère comme on l’entendait à l’époque. Ce qui lui plaisait, c’était la chasse. Elle se sauvait la nuit venant pour soi-disant filer un coup de main pour protéger les troupeaux de son père. Un jour, Apollon la croisa en train de lutter contre un lion (rien que ça). Epaté par la bougresse, il appela son ami Chiron, roi des centaures, pour assister à ce combat et commenter sa technique. Bien évidemment, Cyrène sortit victorieuse de ce combat (elle devait déjà être bien baraquée pour tenir tête à ce genre de bestiaux). Il demanda donc à son pote le nom de la jeune demoiselle et si selon lui, elle ferait une épouse acceptable pour le dieu grec qu’il était. Ce dernier rit, non pas au nom de la jeune fille mais de l’inutilité de la question de son ami: il savait très bien qu’il connaissait son nom et avait déjà prévu de l’enlever. Pour la faire courte, il en fit une de ses épouses. En plus d’être une chasseuse hors pair, elle se montra juste et généreuse pour le peuple qu’il lui donna à gouverner. (peuple de guerrières?)
Autre trace des femmes guerrières en Grèce
Un jour, Poséidon vit la nymphe Caenis et, dans le désir de s’unir avec elle, lui offrit un voeu. Cette dernière lui demanda de la transformer en guerrier invulnérable, tant elle n’en pouvait plus de sa condition féminine. Une fois leur affaire terminée, Caenis devint Caenée et multiplia les actes de bravoure au combat. Ses succès nourrirent sa renommée, tant et si bien que les Lapithes le choisirent pour roi. Sa réputation ne faisait que croitre, il était presque vénéré comme un dieu dans certaines villes. Zeus en prit ombrage et mandata les centaures pour en finir avec lui. Caenée réussit sans mal à se débarrasser de six centaures, ce qui était un exploit en soi. Mais le nombre de centaures qui continuaient de se jeter sur lui eut raison de ce héros. Il se retrouva enseveli sous des troncs d’arbres que lui jetaient les centaures. La légende dit qu’en retirant les troncs pour extraire son corps, il était redevenu une femme. Ce mythe rappelle une coutume d’Albanie d’après laquelle les jeunes filles pouvaient (ou devaient?) se joindre aux troupes guerrières, déguisées en homme, de sorte que l’ennemi soit surpris en découvrant, lorsqu’elles étaient tuées sur le champ de bataille, qu’elles étaient des femmes.